« Oui, eh bien je vous l'ai déjà dit, c'est trop tard. J'ai déjà signé un contrat de travail, alors je ne viendrai pas à cet entretien. » L'homme continua de parler et d'insister, comme s'il n'avait pas entendu ce qu'elle venait de dire. Harry leva les yeux au ciel et grogna. Sincèrement, était-ce si difficile à comprendre ?
« Non, je ne viendrai pas, voilà tout ! C'est trop tard ! » Espèce de buffle sourd comme un pot. Il continua encore et encore. Harry arriva à un croisement de rue et vérifia qu'aucune voiture ne venait avant de traverser tout en marmonnant dans ses dents.
« Écoutez monsieur, vous perdez votre temps et vous me faites perdre le mie- Quoi ? Mais je vous ai dit- Oh et puis allez vous faire voir ! » Elle raccrocha rageusement et rangea son téléphone dans sa poche de jean.
« Non mais vraiment. Les gens... » Elle soupira, les sourcils froncés. Ce coup de fil l'avait vraiment énervée, mais elle finit par éclater de rire. Après tout, elle s'en fichait bien maintenant. Elle avait trouvé un travail, et espérait le garder assez longtemps. Elle n'avait plus besoin de ces idiots de l'agence d'intérim. Enfin, tous n'étaient pas idiots, mais ce gars là, il l'était, pour sûr.
Le soleil était couché depuis une vingtaine de minutes déjà, et Harry rentrait à pieds chez elle, comme à peu près tous les jours depuis qu'elle avait commencé à travailler à l'hôpital avec le docteur De Lusignan. Après avoir pris le métro, il lui restait environ dix minutes pour arriver en bas de son immeuble. Ce trajet, elle le faisait machinalement, sans vraiment réfléchir à où elle mettait les pieds, et elle se surprenait parfois à traverser sans faire attention aux voitures. On dit que c'est sur les chemins qu'on connaît le mieux qu'on est le plus en danger, et ça, Harry s'en rendait bien compte.
A peine deux minutes après qu'elle ait rangé son portable, celui-ci vibra. Elle fronça les sourcils puis, sourit en voyant le message affiché sur l'écran.
N'oublie pas ta tenue de combat pour demain... - Hayden. Harry éclata de rire et entreprit de taper une réponse quand elle entendit des pas derrière elle. Son rire s'évanouit soudainement, et elle se sentit tout à coup très mal à l'aise. On la suivait. Harry pressa le pas et tourna la tête vers la droite, risquant un regard en arrière. En effet, une dizaine de mètres derrière elle, elle aperçut deux silhouettes sombres qui semblaient calquer leur vitesse sur la sienne.
Merde, pensa-t-elle.
Merde, merde, merde. Je vais pas me mettre à courir, si ? Peut-être qu'ils passent juste par là... Elle déglutit et regarda droit devant elle, marchant aussi vite que possible, tous les sens en alerte. Elle était parano sûrement, avec tout ce que la télé leur racontait aujourd'hui, c'était compréhensible après tout... Mais alors elle entendit les pas accélérer derrière elle. Ils courraient vers elle.
« Madame, hé, Madame ! » Elle eut l'impression qu'on lui jetait un bol d'eau glacée sur la tête. Son cerveau lui cria de courir, mais ses jambes refusèrent de suivre. Très vite, les deux garçons - car il ne devaient pas avoir plus de la vingtaine - l'encadraient. Elle continua de marcher, complètement paralysée.
« Oui ? Qu'est-ce que vous voulez ? » Celui sur sa gauche lui répondit.
« Vous auriez pas l'here, s'il vous plaît ? » Ils étaient plus grands qu'elle, bordel. Pourquoi étaient-ils si petits chez les Watson ?
« J'ai pas de montre, donc non je n'ai pas l'heure petit. » Elle avait répondu sur le ton le plus froid et cassant qu'elle avait pu trouver, mais ils n'en démordirent pas.
« Vous avez un téléphone par contre, on le sait, on vous a vu avec. » Ils s'approchaient beaucoup trop près d'elle. Harry analysa rapidement la rue, paniquée. Il n'y avait personne.
Bordel. « Montrez-le nous, Madame, allez. On veut voir l'heure. » C'est ça ouais, tu veux me le piquer enfoiré. « Non. » Elle essaya de marcher de nouveau, les repoussant, mais ils l'attrapèrent par les bras.
« Mais lâchez-moi putain de merde ! » Ils gloussèrent. Harry sentit la rage monter en elle. Ces merdeux pensaient l'avoir, hein ? Ils n'allaient pas être déçus... Celui de gauche essaya de l'attraper par le cou, pensant l'immobiliser, mais elle esquiva en se baissant et en profita pour donner un coup de genou le plus fort possible dans l'entrejambe du deuxième qui lui tordait toujours le bras. Elle l'entendit geindre de douleur et sentit sa prise sur son bras droit se relâcher tandis que l'autre réussissait cette fois à l'étrangler de par derrière.
Rappelle-toi de que t'as montré Hayden, rappelle-toi... Putain, c'est qu'il serrait fort ce con. Elle inspira du mieux qu'elle put et lui écrasa le pied avec son talon.
Il laissa échapper un cri étouffé et elle en profita pour lui mordre le bras comme si elle croquait dans un hamburger. Le gars recula et la lâcha. Harry reprit rapidement son souffle et voulut se mettre à courir, mais celui frappé à l'entrejambe l'attrapa par les cheveux. Elle laissa échapper un cri de douleur et l'entendit rire.
« Espèce de salope, t'espérais pas t'échapp- » Une bonne droite en plein dans la pommette lui fit ravaler sa phrase, et une deuxième dans les reins l'envoya par terre. Harry vit l'autre mec revenir vers elle en grognant, et elle ne réfléchit pas plus. Elle attrapa ses talons dans la main gauche et se mit à sprinter. Là, ils ne pourraient pas la rattraper.
Vingt minutes plus tard.
Harry entra dans Scotland Yard, ayant l'impression de rêver. Elle était rentrée chez elle et les avait facilement semés, mais son sac à main était resté avec eux - elle n'avait pas été assez folle pour retourner le chercher. Quand son voisin de palier - Albert Milford - l'avait croisée dans les escaliers et qu'elle lui avait raconté ce qui s'était passé d'un air penaud, il lui avait proposé d'aller au commissariat avec elle, afin de signaler le vol de son sac ainsi que son agression. Harry l'avait suivi sans poser de questions, se sentant aussi vide qu'un coquillage. Le choc, disait Albert, c'était le choc.
Sur la route, il n'avait pas cessé de fulminer contre les jeunes voyous, contre ces idiots qui s'en prenaient à n'importe qui et pour n'importe quoi, il avait monologué sans fin sur les problèmes d'éducation, et Harry ne l'avait pas écouté. Elle s'était contentée de fixer un point imaginaire devant elle, réalisant petit à petit que ses phalanges lui faisaient en fait très mal.
Et la voilà, accompagnée de son voisin, à l'accueil de Scotland Yard. La plupart des commissariats étaient fermés à cette heure, et il fallait donc ce rabattre ici, ce que Harry trouvait absurde - mais elle avait évité de le dire à Albert, ne tenant pas à ce qu'il se lance dans un autre débat solitaire. On lui donna un badge et on lui indiqua une direction qu'elle ne retint pas. Albert lui souhaita bon courage et s'assit dans le hall, lui indiquant qu'il attendrait son retour pour la raccompagner. Elle lui adressa un vague sourire, consciente que malgré son côté lourdaud, elle lui devait beaucoup ce soir-là.
« Merci Albert. »Elle s'en alla alors dans un couloir. Puis un autre. Elle semblait peu à peu se réveiller de sa transe et se rendit soudain compte qu'elle était perdue au beau milieu de Scotland Yard. Harry fronça les sourcils, retrouvant ses capacités intellectuelles normales, et chercha à retrouver son chemin. Au bout de dix minutes, elle comprit qu'elle ne s'y retrouverait pas : la fatigue, la douleur dans ses doigts et cette sensation vaseuse ne la mettaient pas vraiment dans les meilleurs conditions. Elle avait juste envie de rentrer chez elle en fait.
Elle finit par se décider à demander son chemin, et s’exécuta auprès du premier homme qu'elle croisa. Il devait avoir la quarantaine à peu prés, et avait un visage agréable malgré son air soucieux et son pas pressé.
« Monsieur ? Excusez-moi, Monsieur ? » Il s'arrêta, surpris, et la considéra.
« Je crois que je me suis perdue... » Elle montra son badge de visiteur.
« Je dois déposer une plainte et signaler un vol... désolée de vous déranger mais je ne sais pas où je dois aller ? » Elle n'eut pas la force de sourire. Harry le regarda. Il lui rappelait quelque chose ou quelqu'un, mais elle ne savait pas qui ou quoi...
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