Superbe. Merveilleux. Incroyable. Vous pourriez placer ici tous les adjectifs positifs qui vous viennent à l'esprit. Ça faisait longtemps que Dana n'avait pas jubilé comme ça. Évidemment, tous les contrats apportaient leur lot de joie et de sourire, mais ça, c'était encore mieux qu'un contrat. On la mettait au défi. Que demander de mieux? C'était comme lui offrir l'adrénaline et le plaisir dont elle avait un besoin vital sur un plateau non pas d'or pur, mais taché de sang (à force d'en voir tout le temps, on finit par aimer ça).

Quand elle avait reçu le colis, elle avait été plutôt surprise. D'habitude c'étaient des mails, des textos, des lettres dans certains cas rarissimes, mais jamais on ne l'avait engagé par colis. Et ce qu'il contenait... Des menaces. Elle était obligé de venir rencontrer cette personne pour « parler business » sur les bords de la Tamise, le jour même, sans quoi le MI5 en apprendrait beaucoup trop sur elle. Et ça, ce n'était pas la meilleure partie.

« Essayer de m'avoir, juste pour voir » lui avait-on écrit. Un défi. Le défi. À la lecture de ces quelques mots, le visage de Dana s'était fendu en un grand sourire, et si elle n'était pas une femme dans la trentaine, elle se serait mise à sautiller de joie. Parfois, elle se disait que c'était dommage de vivre seule, il n'y avait jamais personne pour partager son enthousiasme. En fait elle n'avait pas d'amis du tout... En un sens c'était mieux, si elle en avait ils auraient fini par décorer sa maison avec leurs organes. Il y avait quand même des moments où elle aurait aimé pouvoir danser avec quelqu'un d'autre parce-qu'elle venait de recevoir un contrat alléchant. Juste une fois. Mais bon, comme d'habitude, elle devrait se contenter de la compagnie de ses meubles.

Elle avait attrapé son pistolet, son chouchou, son Beretta 92, ainsi qu'une ou deux armes blanches et des munitions en plus. Jamais auparavant quelqu'un n'avait voulu jauger ses capacités, personne, à part ses victimes, ne l'avaient vu à l’œuvre, alors elle comptait bien en profiter et se donner à deux-cent pour cent. « Juste pour voir », disait-il. Il allait en voir, ça, oui.

Quand elle fut bien armée et qu'elle eut repris une certaine contenance, elle sorti de son appartement en trombe, sans même prendre le temps d'éteindre la télé, et dévala les escaliers, manquant de peu de renverser une voisine. Elle ne s'excusa pas. Ça lui arrivait plutôt souvent, ce genre d'incidents. Sa réputation de voisine désagréable venait sûrement de là – et de son habitude agaçante de mettre sa musique à bloc tout en beuglant les paroles –. Elle sortit de l'immeuble et se mit à marcher d'un bon pas, vers son point de rendez-vous.

Après une bonne marche (c'était peut-être la seule chose qu'elle aimait faire, avec tuer bien sûr), elle arriva enfin là où elle était attendu. Effleurant son Beretta de la main droite, elle avançait de façon confiante, mais en restant sur ses gardes. Les sens en alerte. Prête à bondir sur tout ce qui s'approcherait d'elle et en finir d'une balle bien placée.

Qu'il vienne, elle l'attendait.

« Tic Tac quinze minutes encore, mais qui du loup ou de l'agneau l'emportera ? »

Quinze minutes? Quinze minutes avant quoi? Si l'homme prenait la peine de la prévenir, Dana supposait que c'était quelque-chose de plutôt mauvais. Encore un élément rajouté dans le défi. Elle n'allait certainement pas s'en plaindre, mais il fallait qu'elle garde son sang froid et qu'elle agisse comme elle le ferait lors d'un vrai contrat. Elle était arrivée sur les bords de la Tamise depuis quelques instants, et avait bien évidemment pris en considération la foule, petite mais bien présente, qui semblait guetter derrière elle. Il y avait également quelques voitures. Peut-être avait-il prévu de révéler ce qu'il savait sur elle, comme dit dans son colis, si elle ne s’exécutait pas avant quinze minutes. Peut-être allait -il faire en sorte qu'il lui arrive des ennuis. Dans tous les cas, elle était sûrement en danger en ce moment, et tout cela ne faisait que renforcer cette adrénaline qu'elle aimait tant.

« Ça dépend lequel d'entre nous est le loup. »

Elle continua à avancer, de quelques pas d'abord. Évidemment, elle n'avait sorti aucune arme de son sac, il y avait trop de monde. Un seul témoin, c'était déjà trop, alors là... Elle ne pouvait pas prendre le risque de se montrer les armes à la main, quelqu'un alerterai forcément les autorités. Il avait bien choisi son endroit : pas très fréquenté, mais assez pour l'empêcher de l'attaquer directement. Elle sourit à cette pensée. Elle avait à faire à quelqu'un d'intelligent et d'expérimenté, visiblement. Un peu comme elle. Le murmure de la foule semblait s'intensifier derrière elle, mais elle n'y prêta pas attention. Elle allait d'abord chercher dans les endroits vides, juste au cas, avant de s'attaquer à l'éventuelle possibilité qu'il se cache en étant vu, c'est à dire parmi les passants. Ou alors peut-être était-il dans un des bâtiments qui surplombaient le fleuve. Il fallait tout éplucher, tout passer au peigne fin. Elle ne savait pas à quoi son adversaire ressemblait, mais elle comptait sur le fait qu'un criminel peut en reconnaître un autre. Enfin, elle espérait.

Tous les gens autour d'elles semblaient relativement normaux. Des Londoniens prenant une marche sur le rivage de la Tamise, en passant par les enfants qui gambadaient et les touristes qui prenaient des photos par paquet de cinquante. Il fallait faire attention à cette dernière catégorie, quoi de pire que de se retrouver sur un cliché entrain de commettre un acte criminel. Si elle trouvait sa cible, elle devrait l'éloigner d'ici... Ce ne serait pas facile. Mais si elle n'avait pas de volonté ou de motivations, elle ne serait pas entrain d'éplucher un rivage à la recherche d'un homme qui menaçait de compromettre sa vie toute entière.

Oh, mais, elle y pensait... Elle avait son numéro de téléphone, n'est-ce pas? Si elle l'appelait, il serait plus facile à repérer. Soit elle entendrait sa sonnerie, soit elle le verrait décrocher, soit elle verrait un homme dont les paroles correspondent mot pour mot à ce qu'elle entend dans son oreille. Cela valait le coup d'essayer.

Elle attrapa son portable et composa le numéro, qui s'afficha à l'écran. Puis, après avoir enclenché l'appel, elle porta le téléphone à son oreille. On verrait bien.

Boîte vocale. Il fallait s'en douter, et pourtant, Dana avait réellement cru qu'il aurait pu répondre. Tant pis. Cet essai lui laissait quand même une information conséquente : la voix. Et dans ce cas-ci, l'accent. Car l'homme était américain, semblait-il. Elle avait une partie de son identité, qui ne semblait pas très utile sur le moment... enfin, c'est ce qu'elle pensa d'abord. Puis, elle se rappela. À l'autre bout de la place, il y avait un écran géant. Elle était sûre d'avoir entendu cette voix, cette voix particulière, en sortir. Comment et pourquoi, elle ne le savait pas et elle n'en avait rien à cirer. Avec un peu de chance, peut-être verrait-elle son visage.

Faisant volte-face, elle abandonna ses recherches pour ensuite revenir en force. C'était ridiculement simple de retrouver un visage dans une foule, une fois qu'on y était habitué, alors elle n'avait qu'à trouver ce visage. Il fallait l'avouer, elle était tendue. Cet homme savait s'y prendre et elle était habituée aux victimes naïves et faciles à tuer. Mais bon, comme elle se le répétait depuis des heures, c'était un défi et elle le relevait volontiers.

Au loin, devant elle, elle apercevait déjà le grand écran. Un sourire en coin se forma sur ses lèvres. Elle se sentait... conquérante. Comme si elle se rapprochait du but. Un doute se faufila en elle. Comme une sorte de poison. Tout ça, c'était... facile. Enfantin. Ça ne pouvait pas se passer comme ça, pas de la part d'un homme qui avait le pouvoir de la livrer au MI5. Quelque-chose clochait, quelque-part, elle se faisait avoir. Pourtant, rien ne la laissait croire que tout cela était un piège... Enfin. Peut-être se faisait-elle du soucis pour rien? Elle ne savait pas quoi écouter, son côté expérimenté qui lui disait qu'une personne de calibre ne pouvait pas se laisser prendre comme ça, ou son côté naïf et excité qui lui sommait d'avancer pour lever le voile sur ce visage. Elle s'arrêta sur le bitume, pensive, au milieu des passants. Quand elle allait se retourner, une détonation puissante la fit sursauter.

Instinctivement, elle se baissa. Quand elle leva les yeux, elle ne vit plus l'écran sur le mur. Il était par terre. Tombé sur les voitures et sur les passants. Lentement, il prenait feu. Un sourire apparut sur son visage, un rire fusa dans sa gorge, mais elle les réprima vite. Quoi de plus louche qu'une femme qui rit lors d'une catastrophe de ce type. Les gens autour d'elle criaient, hurlaient, courraient et elle entendait déjà les sirènes distinctes de la police résonner au loin. Elle n'avait plus aucune chance de voir son visage, mais dieu que c'était bon de sentir la panique autour de sois, de s'en imprégner, de s'y baigner.

Elle ne devait pas rester là trop longtemps. À contrecœur, il fallait se l'avouer, elle se détourna de l'incendie naissant, se mettant à courir dans le même sens que la foule, de façon à avoir l'air effrayée et désemparée. Tout du contraire. Elle jubilait.

Son téléphone vibra dans sa poche. C'était lui. Elle décrocha, se mordant la lèvre pour ne pas débiter tout ce qui lui venait à l'esprit, passant de la joie à la folie pure et dure.

« - J'espère que vous aimez ma surprise! Ricana-t-il
- J'adore, vraiment. Quelle belle attention, répondit-elle avec la même pointe d'ironie. Cette mise en scène, c'était pour me faire peur et me montrer ce dont vous êtes capable, attirer la police ou mieux vous cacher? »

- Vous êtes étonnante miss Wilderton ! Mais sachez que ceci n'est qu'une infime partie de mes capacités. Le vrai test commence maintenant ! Il y a une mallette pour vous dans le coffre d'une berline noir juste à côté de vous. Vous y trouverez dedans ma photo et un billet de train pour Liverpool, vous m'y retrouverez dedans, à la gare la plus proche dans le compartiment indiqué. Il est temps de faire vos véritables preuves. Au faites sachez que j'ai une dernière surprise pour vous... Bon voyage ! 

Un bruit sourd, puis plus rien. Il avait raccroché. Dana se sentait de plus en plus aspirée dans ce jeu. Tournant la tête, elle repéra la voiture mentionnée, qui était étonnement déverrouillée. Après inspection des lieux, elle repéra ladite valise, enfoncée dans le coffre à gant. Dès qu'elle fut en possession du bagage, elle s'éloigna vite de la scène de l'explosion, voulant à tout prix éviter une rencontre avec la police. Elle n'ouvrit pas son colis tout de suite, mais se dirigea vers la gare.

Celle-ci n'était pas bien loin, à quelques rues tout au plus. Quand elle fut à l'intérieur, elle fut bien forcée d'ouvrir la valise pour pouvoir présenter son billet. Un employé la redirigea vers sa voie et tandis qu'elle avançait dans cette direction, elle sortit la photo de la malle et la regarda, tentant de mémoriser le plus de détail possible du visage qui s'offrait à elle.

Une sonnerie retentit, signe que son train était sur la voie. Elle releva la tête, prête à s'y rendre, mais un doute couru en elle. Cet homme était capable de faire exploser des écrans géants en tuant des dizaines de civils juste pour lui donner un avant-goût. La piéger, la diriger vers un train ou il n'était pas, ou pire, faire exploser le train avec elle à l'intérieur, toutes ces choses semblaient être parfaitement à sa portée. Elle regarda son train, puis les trains autour. Retournant le problème dans sa tête, elle ne savait pas si elle devait embarquer ou non. Il pouvait très bien lui faire le coup du double bluff... Ou alors elle s'était bêtement fait prendre et il n'était même pas dans cette gare? Tandis qu'elle réfléchissais ainsi, elle regarda autour d'elle et elle tomba sur quelque-chose. Ses yeux s'écarquillèrent et elle sourit.

Là, courant devant elle, elle aperçu l'homme sur la photo. Il s'encastra dans un wagon qui ne faisait pas parti de son train et disparu à l'intérieur.

Elle décida d'attendre, de laisser partir son train, pour lui faire croire qu'elle y était monté. Se dirigeant vers les bancs, elle s'assit quelques instants. Il était là, dans ce train, à sa portée. Son but premier était tout de même d'essayer de le tuer... Peut-être pourrait-elle tenter sa chance. Maintenant. Peut-être serait-il surpris de la voir là, ou alors peut-être s'y attendrait-il.

Elle fixait l'entrée du wagon et autre chose attira son attention. Quelqu'un d'autre, visiblement armé, venait d'y pénétrer, si rapidement que personne ne l'avait vu. Cet homme n'était sûrement pas un garde du corps. N'y tenant plus, elle se leva brusquement, bousculant une personne au passage, et couru vers le train de son employeur, sautant presque à l'intérieur. L'endroit était petit, elle était à l'arrière et les cabines semblaient à l'avant, elle s'élança donc dans cet direction.

Derrière la vitre d'une porte fermée, elle aperçu une silhouette, pointant son arme vers un autre homme dont elle ne pouvait pas voir le visage. Attrapant sa propre arme et la rechargeant, elle se dirigea lentement vers la porte.