Le 7 janvier 1982 à Birmingham. C'est là le début de mon histoire, le début de la fin si je puis dire. Ah, si seulement j'avais pu profiter de mes années de jeunesse, peut-être n'en serais-je pas où j'en suis? Mes parents étaient des gens peu respectables, et je ne crois pas me tromper si je dis que j'étais, disons, un accident. C'est en tout cas ce qu'ils ont voulu me faire passer comme message je pense. Laissée à l'abandon, mal nourrie, frappée, mal aimée... Toutes les souffrances imaginables pour une pauvre petite fille, je les ai subites. J'ai grandi sous les coups et les injures, convaincue que j'étais une idiote, une ratée, que j'étais inutile et laide et que j'étais un gaspillage d'espace et d'oxygène. Pour une raison que j'ignore, mes parents m'ont tout de même envoyé à l'école, sûrement pour être débarrassés de moi le plus longtemps possible. Je ne sais pas comment ni pourquoi, mais un jour, une voisine de palier a voulu me sortir de cette galère et a dénoncé l'attitude abusive de mes parents. Elle aurait dû me laisser où j'étais, à l'heure actuelle je serais morte, suicidée ou battue à mort, plutôt que de tuer pour l'argent et le plaisir. Je suppose qu'elle pensait bien faire, il est vrai que ni elle ni moi ne pouvions prévenir l'avenir. Évidemment, je ne suis pas resté sous son aile, on m'a plutôt envoyé dans une famille d'accueil. Mes gardiens n'étaient pas méchants, mais pas particulièrement agréables non plus. J'avais déjà enduré bien trop de souffrances et de cruautés pour la jeune adolescente que j'étais, alors même si ils avaient une attitude détachée envers moi, tant qu'il ne me frappaient pas en hurlant des atrocités, ça m'allait plus que bien. Je n'étais pas leur fille après tout, je n'allais sûrement pas attendre d'eux qu'ils me considèrent comme tel. Là où j'avais eu une enfance chaotique, j’eus une adolescence relativement calme. Beaucoup trop calme. Je m'ennuyais en permanence, je n'avais pas d'amis par manque de confiance en moi. Tout me semblait morne et je ne voyais pas comment je pouvais changer ma condition, alors j'attendais. Un miracle, la fin du monde, le déluge, je ne sais pas, mais j'attendais. Et puis un jour, il y a eu ce garçon dont je ne me souviens plus le nom. Pour des raisons qui me sont toujours inconnues, il me semble qu'il m'a aimé. Peut-être que je l'ai aimé aussi, ça ne me reviens pas. Lui, il m'aimait, c'en était même malsain, mais comme j'avais attendu tellement longtemps que quelque-chose bouge dans ma vie, qu'un événement vienne chambouler la routine, je me laissais faire en espérant que ça m'amène à quelque-chose. Après, c'est assez vague jusqu'à un certain point. Il y a eut un soir où il m'a emmenée dehors, dans un endroit sombre, et ils ont été plusieurs à me rouer de coups et à abuser de moi. Comme si je n'avais pas l'habitude. Je savais qu'il était inutile de me débattre, ils étaient biens supérieurs en nombre, alors j'ai subis, j'ai attendu que ça passe. Ils m'ont laissé, me croyant sûrement inconsciente, et sont partis. Moi, même si j'avais déjà subis ce genre de traitement, j'avais peur. J'étais dégoûtée. J'étais révoltée. Comment avais-je pu faire confiance à quelqu'un d'aussi atroce que lui? Comment avais-je pu penser qu'il serait doux comme un agneau et qu'il ne me ferait aucun mal? Comment avais-je pu être aussi idiote?

Je l'ai tué. Je sais que je l'ai tué. Mon premier meurtre, le premier d'une longue liste. Sauf que celui-là n'était pas rémunéré, c'était pour mon propre plaisir. J'avais son adresse, il me l'avais laissée quand il jouait le jeu du garçon amoureux. Tout s'est passé si vite, mais dieu que c'était... magique! L'adrénaline, la peur, l'excitation, tout cela mélangé, et puis son visage horrifié quand il m'a vu apparaître, arme à la main, dans l'embrasure de sa porte. Lui qui croyait que c'était son livreur de pizza. D'ailleurs, je crois que c'est ce dernier qui a signalé le meurtre à la police. J'ai évidemment dû m’exiler de Birmingham. J'avais dix-neuf ans. J'ai inventé une histoire comme quoi je voulais voir le monde, vivre librement, pour me débarrasser de la famille d'accueil, et ça a marché ridiculement facilement. Ils en avaient sûrement assez de moi. J'ai rejoins Londres et je me suis installée. J'ai vécu quelques semaines comme une femme ordinaire, mais au fond de moi, un manque se faisait ressentir. Un trou béant que je n'arrivais pas à refermer. Une envie qui me rongeait les entrailles. Il me fallait tuer encore. Voir de nouveau l'horreur, le sang, entendre le fusil résonner, voir le cadavre s'effondrer au sol et l'hémoglobine se répandre. Il me le fallait. Peut-être suis-je dérangée, mais c'est une drogue pour moi. Il me le fallait, c'était inconditionnel et je n'avais pas d'autres choix.

Comme en écho à mes désirs, un jour j'ai été contactée par un homme dont je n'ai jamais connu l'identité. Il m'a dit qu'il savait qui j'étais et ce que j'avais fait à Birmingham. Il m'a dit qu'il était prêt à garder tout ça sous silence, et faire en sorte que rien ne s'ébruite, seulement si j’accomplissais pour lui un petit service. Une femme qui en savais trop sur lui et qui devais disparaître. Il m'a laissé faire, comme si j'étais une experte, alors que j'avais dix-neuf ans. Je l'ai fait, je l'ai tuée. Je lui ai fait croire que j'étais intéressée par une offre d'emploi dans sa boîte, je lui ai offert de venir prendre un verre et dans une ruelle, je l'ai tuée. L'homme m'a grassement payé, et m'a quitté avec ces mots : ''Je t'aiderais.''

Les contrats se sont enchaînés. On me contactait pour tuer tel mari infidèle, tel collaborateur un peu trop indiscret, tel policer qui avait accumulé trop d'informations. J'adorais ça. J'adore toujours ça. J'ai trente-deux ans, et je le fais depuis treize ans. Treize ans de meurtres rémunérés. Depuis quelques années, je laisse mes victimes sur une même phrase. C'est comme ma signature, ce qui me représente. Ça me donne un air sombre de légende urbaine. Ce que mes victimes ont en commun, c'est la dernière chose qu'elles entendent :

''Nous irons tous en enfer.''