Tout me semble beau depuis quelques jours. La dernière fois que j'ai tué quelqu'un remonte à cette nuit orageuse où les ténèbres s'étaient tues. Tout m'était clair. Jamais je n'ai éprouvé autant d'émotions depuis que je fréquente Ashley physiquement. D'abord, l'amitié. Puis la compassion, la confiance. La colère et la rage contre celui qui lui avait fait du mal... Jamais. Jamais je ne m'étais surpris à être dans cet état second, encore moins pour quelqu'un. Et enfin l'amour. J'éprouvais du respect pour ma tante, mais jamais elle n'a réussi à me donner ce que je peux maintenant ressentir pour Ashley. Honey. Ce petit surnom qui était sorti de je ne sais où, de manière spontanée ce matin là était devenu le nom réflexe par lequel je l'appelais. Je me suis surpris à avoir Ashley sous le nom "Honey" dans le répertoire de mon téléphone. Aujourd'hui, elle ignore que Fowler est mort. Encore plus que la main qui a arraché son âme de son corps n'est autre que la mienne... Me voilà à la porte de l'appartement d'Ashley que j'ouvre. J'ai été le bienvenu depuis le premier jour où j'ai passé le pas de la porte. Aujourd'hui, c'est presque mon second chez moi... Je dors un jour ou deux par semaine au minimum, j'ai droit à une petite place pour quelques vêtements dans sa commode, j'ai une brosse à dents ici, et même un double des clefs de la porte d'entrée... Je la vois devant son écran, comme à son habitude. Fidèle à elle-même... Que serait Babyshamble sans un ordinateur portable ?

- Hello, Honey !

Je l'enlève quelques instants à ce qu'elle fait pour la prendre dans mes bras et lui donner un tendre baiser. Ces gestes me semblent si simples, si... Spontanés... Alors que par le passé, je réfléchissais au moindre mouvement que je pouvais faire et à ce que les gens pouvaient en interpréter. Ashley m'avait changé. Elle a changé l'immuable. Elle a transformé ma couverture en une vie à part entière. Ce qui était censé n'être qu'un camouflage pour la vie du Ripper s'était teinte de lumières de vie. Je regarde la brune au sourire ravi dans les yeux avant lui caresser les cheveux. J'avais eu une idée la nuit dernière...

- Aujourd'hui, je vais te faire sortir de chez toi. On va sortir dehors passer un bon après midi ensemble et ce soir, on dînera chez moi, j'ai prévu pour toi une journée que tu n'es pas prête d'oublier ! Partante ? J'espère, parce que je ne te laisse pas le choix !

Ma voix est joyeuse, rassurante, ponctuée d'un grand sourire. Il faut qu'elle sorte, qu'elle profite de la vie dehors, qu'elle puisse voir la lumière du jour par autre chose qu'une fenêtre... Elle se prépare, l'air peu rassurée. Certainement la peur de revoir Fowler... Intérieurement, ça me fait sourire. Mais je suis là et je sais qu'elle se sent en sécurité avec moi, autant que moi, auprès d'elle, je me sens vivant.

On se retrouve alors, marchant dehors, main dans la main, comme un couple, ce que de toute évidence, nous formons à présent. Londres est belle, éclairée par un soleil éclatant dans un ciel bleu azur, signe d'une bonne journée. Je serre sa petite main quand je la sens peu à l'aise. Je suis là, près d'elle et ni Jarod ni le Ripper ne laisseront quelqu'un lui faire du mal... Tantôt on se balade dans la ville, tantôt on mange une glace à l'italienne, assis sur un banc, au bord de la Tamise. Je prends beaucoup de plaisir à passer cet après-midi en sa compagnie. Vraiment... La journée se passe très bien et je suis heureux de pouvoir libérer ma princesse de sa tour blanche pour au moins quelques heures, même si je n'ai pas prévu de la ramener chez elle ce soir... Je regarde la grande roue. L'Œil de Londres... Je croise le regard d'Ashley.

- Ça te dit de faire un tour de grande roue ?

Aussitôt proposée, aussitôt approuvée. Je ne pensais pas que paraître aussi humain serait aussi facile auprès d'elle... S'en suit alors un tour de grande roue dans la grande cabine de laquelle on voit une bonne partie de Londres. Je n'avais pas quitté sa main durant tout le manège... Je me sentais vivant. Comme si je récupérais mes vingt et une années perdues en même temps que mon innocence d'un seul coup. Comme si je redevenais, l'espace de quelques heures, l'enfant que j'aurais dû être...

Le soleil finit par se coucher et nous voilà devant la porte de chez moi. Je glisse la clef dans la serrure avant de constater que je n'avais pas verrouillé la porte. J'ouvre alors avant de trouver Molly devant la télé. Molly... Molly... Je l'avais oubliée ! Je souris à cette dernière quand je constate qu'Ashley, ne semblant pas comprendre qui est la jeune femme sur le canapé, me regarde un peu perdue.

- Salut, Molly ! J'ai invité ma copine à dîner à la maison, tu manges avec nous, bien sûr ?

Le sourire aux lèvres, je tourne la tête vers Ashley. Je finis par éclairer sa lanterne... Je trouve un mensonge. Je ne peux décemment pas lui dire qu'elle est la témoin d'un de mes meurtres parce que je suis le criminel le plus recherché de toute l'Angleterre... Trouver un mensonge. Vite. Vite...

- Mais quel maladroit je suis, je ne vous ai pas présentées... Honey, je te présente Molly. C'est une amie qui m'est chère qui a quelques soucis en ce moment, donc je lui ai proposé de s'installer chez moi quelques temps, le temps que ses problèmes soient réglés... Molly, je t'ai déjà parlé d'Ashley, ma copine... Bon eh bien... Je vous laisse faire connaissance ? Je vais faire le repas... Servez-vous en apéritif dans les placards, faites comme chez vous !

Je vais me laver les mains dans la cuisine, les regardant du coin de l'oeil. J'espère vraiment que mon invitée suivra mon plan, ce qui vaudrait mieux pour nous deux... Je commence à préparer une pâte à pain. Après tout, dans ce mensonge, on peut trouver de la vérité. Elle a quelques soucis et elle habite provisoirement chez moi... J'ai vraiment envie de faire passer une belle soirée à Honey et je ne tiens pas à ce qu'un mensonge l'en empeche... Je m'apprête à aller à la cave quand je préviens mes invitées.

- Je reviens, je monte une bonne bouteille de vin. Ca vous va ? Parfait !

Je descends les escaliers après avoir allumé la lumière pour choisir un bon vin dans la cave...

     La sonnerie stridente explosa littéralement le calme de la chambre plongée dans la pénombre, son occupante se réveillant en sursaut, dressée dans son lit. Essoufflée et le coeur palpitant, la jeune femme mit de douloureuses secondes à se remettre de ses émotions. Elle n'aimait vraiment pas ces brusques réveils car elle ne savait jamais où elle se trouvait, son corps réagissant alors comme s'il s'apprêtait à prendre la fuite. Malgré tout elle parvint à se situer à nouveau... La chambre d'amis de Jarod... Celle qu'elle occupait maintenant depuis quelques temps, mettant en péril toute forme de logique ou de sens de la préservation. Les termes de leur association, plus ou moins volontaire, s'étaient précisés depuis et l'irlandaise n'était plus vraiment prisonnière de ces quatre murs... En fait, elle était à peu près certaine qu'elle pouvait disparaître complètement si elle en avait envie. Des fois qu'elle se décide à abandonner Londres et la vit qu'elle s'y était forgée...

     Molly se laissa retomber dans le lit, se laissant engloutir par les coussins et le duvet, dans un grand soupir résigné. Elle avait vraiment un don particulier pour se retrouver dans des situations qui ne devraient même pas exister dans le monde réel... Le fait qu'elle poursuive son association avec Jarod et qu'elle ferme consciencieusement les yeux sur certains détails de ses activités en disait long sur sa propre stabilité mentale. La serveuse avait fuit la mafia pour mieux se retrouver aux prises avec un tueur en série... C'était à se demander quelle serait la prochaine étape... Le regard encore un peu injecté de sang suite à la très mauvaise nuit qu'elle avait passé, la jeune femme décida que rester encore quelques heures au lit ne pourrait pas lui faire de mal... De toute façon, ce n'était pas comme si elle était tenue à un emploi du temps fixe...

     En fait, sa seule réelle deadline se trouvait vers la soirée, là où elle devrait prendre une décision. Aller ou non travailler... Depuis que le Riper lui avait sauvé la mise, elle avait plutôt la belle vie... Si elle avait largement perdu en liberté, de son point de vue, elle avait quand même gagné en confort. Si elle ne pouvait pas vraiment faire comme elle le voulait dans l'appartement, ce dernier était bien mieux fourni que le squatte qu'elle occupait avant. L'assurance d'une douche chaude, d'un lit douillet et d'une relative sécurité étaient une nette amélioration de sa situation. Quant à l'argent qu'elle rapportait... Tant qu'il ne venait pas d'un meurtre... Bref, Jarod n'était pas toujours un colocataire trop regardant.

     La jeune femme s'offrit quelques instants de réflexion, réalisant qu'elle avait définitivement associé le tueur en série froid, sanguinaire et méthodique au terme de "colocataire". Le surréalisme de la situation lui arracha un éclat de rire à la limite de l'hystérie qu'elle laissa s'échapper dans l'air matinal. Elle n'était même pas capable de pointer le moment où leur dynamique avait changé dans son esprit. Peut-être du jour où il l'avait autorisée à sortir pour aller bosser, lui remettant un trousseau de clés de son appartement. Molly avait été plus qu'étonnée de cette évolution... Certes Jarod avait toujours été étonnamment poli, courtois et attentionné avec elle, bien à l'oppose du comportement qu'elle s'attendait à observer, mais de là à lui donner autant de libertés...? Le fait qu'elle soit encore en vie était déjà une anomalie en soit...

     Et maintenant... Elle était toujours là. Même si cela s'était joué à un cheveux. Ce premier soir où elle était revenue travailler, le poids des clés étonnamment monstrueux dans sa poche, elle s'était demandée ce qu'il ferait si elle ne rentrait pas... Question légitime face à une tentation légitime. Elle avait déjà voyagé avec moins que cela et savait très bien se débrouiller dans les rues... Mais, malgré son coeur d'irlandaise, Londres tenait une place spéciale dans son coeur et elle n'avait aucune envie de la quitter. Sans compter qu'elle était définitivement intriguée par le Riper, se demandant sans cesse comment il allait encore l'étonner... Au final elle était docilement rentrée ce soir là. Ou matin plutôt... Et si Jarod l'avait tenue à l'oeil, testant sa réaction, elle n'en sut rien et n'en dit rien...

     La question se posait une nouvelle fois alors qu'elle essayait désespérément de grappiller quelques heures de sommeil en plus. Cela faisait une poignée de jours qu'elle les avait remarqué maintenant. Une recrudescence inquiétante d'irlandais. Et pas dans le bon sens du terme, plus celui du passé qui revenait vous mordre vicieusement quand on ne s'y attend plus. Elle n'avait aucun moyen de prouver quoi que ce soit ou de confirmer ses soupçons mais elle avait toujours su s'appuyer sur son instinct. Et ce dernier lui disait qu'elle allait rapidement devoir bouger ou assumer les conséquences de sa sédentarité... Or si elle n'avait pas quitté la ville à cause d'un tueur en série, elle n'allait certainement pas le faire pour quelques mafieux...

     Du coup elle prenait des précautions plutôt fatigantes afin d'éviter les ennuis... Elle n'empruntait jamais la même route pour rentrer afin que personne ne puisse découvrir où elle vivait. Surtout qu'elle n'avait aucune envie que les ennuis de son passé ne rencontrent les ennuis de son présent. Chacun sa merde et elle était parfaitement prête à assumer la sienne... La jeune femme avait un passif un peu particulier et elle estimait normal d'avoir à se débrouiller seule avec les conséquences de ses choix et actions. Même si sa situation de, presque, "honnête citoyenne" était mise à mal. Même si certains auraient pu trouver plus simple de faire en sorte de faire se croiser Jarod et ses menaces...

     Malgré toute sa bonne volonté, Molly ne pouvait pas se permettre d'ignorer le problème. Outre un système de routes lui permettant d'entrer et de sortir de l'immeuble sans se faire voir, elle avait aussi pris la décision de prendre quelques jours de congés. Son patron n'avait pas été vraiment ravi d'apprendre la nouvelle, surtout après son absence due à sa nouvelle cohabitation avec un tueur en série, mais il n'avait pas pu lui refuser. Elle mettrait les bouchées doubles lorsqu'elle reviendrait... En attendant, elle se ferait discrète sur la scène irlandaise pendant quelques jours, ce qui devrait lui permettre de se faire un tout petit peu oublier. Le temps d'élaborer un plan un peu mieux fourni pour régler définitivement le problème...

     La journée se passa douloureusement lentement sans que l'irlandaise ne trouve un début d'idée, outre un nouveau départ dans un nouveau pays plus éloigné encore... Ce qui ne l'inspirait pas outre mesure. Pieds croisés aux chevilles sur la table, bras écartés sur le dossier du canapé et tête renversée en arrière, Molly laissait son esprit divaguer. La télé était restée sur une émission particulièrement demeurée qu'elle ne regardait même pas, se satisfaisant juste du bruit de fond ainsi fourni. Elle n'avait pas vu Jarod de la journée, ce qui n'était pas une première en soit, et se demander si elle devait le prendre en compte dans ses plans de la soirée...

     Elle n'eut pas à se poser la question bien longtemps puisqu'elle entendit la clé dans la serrure avant que son colocataire ne fasse son entrée. Accompagné d'une inconnue... Molly sentit bien que le tueur en série avait un peu oublié sa présence mais son regard resta surtout fixé sur la jolie brunette qui semblait tout aussi étonnée qu'elle par sa présence. La serveuse se releva brusquement, affichant un sourire qu'elle espérait plus amical que gêné pendant que Jarod énonçait l'excuse du jour. Personnellement, si elle n'avait pas eu à se terrer comme un animal et que le Riper n'avait pas fait connaître son désir qu'elle reste, elle aurait immédiatement filé pour laisser les deux tourtereaux en tête à tête. Mais là... Elle était coincée en mode "chandelier". Gênant tout ça... Surtout avec le responsable qui joue brusquement les filles de l'air malgré un regard insistant que l'irlandaise lui lança...

               -Bonsoir...?

     Molly fit un vague salut de la main, visiblement un poil mal à l'aise face à la situation avant de laisser le silence s'installer pendant quelques secondes. Temps qu'elle prit pour observer Ashley, se demandant à qui elle avait vraiment à faire. Il y avait de grandes chances que la malheureuse ne sache pas avec qui elle sortait vraiment... Passé un moment elle sembla s'ébrouer et se dirigea directement vers la bouteille de whisky la plus proche.

               -J'suis désolée de vous pourrir la soirée en amoureux comme ça ! Je vous aurai bien laissé entre vous mais...

     Elle glissa un verre dans la main d'Ashley avant de lui présenter la bouteille, histoire de voir si cela lui convenait. Au passage, elle profita de leur proximité et de l'absence momentanée de leur hôte pour baisser la voix.

               -... j'ai un ex un peu "difficile" qui me cherche en ce moment. Et même si je veux pas ennuyer Jarod avec ça en plus...

     Molly n'élabora pas, se contentant juste d'afficher une rapide grimace en espérant que la jolie brunette comprendrait ce qu'elle cherchait à dire. Et ce n'était même pas un mensonge. Elle avait juste omis de spécifier qu'il s'agissait d'un ex employeur et non d'un ancien amant...

     Il allait vraiment falloir qu'elle parle seule à seule avec Jarod dès qu'ils auraient quelques minutes de calme. Enfin, si cela était possible... La situation dans laquelle elle se trouvait actuellement était tellement ubuesque qu'elle en était à se demander si elle avait fréquenter la normalité à un moment donné de sa vie. Le Riper aurait été son véritable colloque, ou son frère, ou son collègue de travail, ou quoi que ce soit d'approchant que la situation aurait été déjà été gênante. Voir un peu déplacée à ses yeux... Il y avait certaines conventions sociales à suivre... Comme de ne pas cacher à sa petite amie la présence d'une autre femme sous son toit. Et si on oublie, on évite de les mettre en contact par surprise et de les abandonner aussi sec. Jarod avait beaucoup de chance qu'Ashley semblait être quelqu'un de particulièrement gentil. Et compréhensif. Voir pas trop jaloux.

     Et c'était sans compter la situation dans laquelle elle se trouvait maintenant. La relation entre le jeune homme et elle était tout de même assez particulière et elle ne savait même pas jusqu'à quel point elle pouvait parler librement avec Ashley sans provoquer une catastrophe. La catastrophe étant une soudaine bouffée de jalousie, malvenue, cela dit parlant, un nouvel enlèvement ou la fuite de la demoiselle. D'ailleurs... Si la mignonne qui se trouvait devant elle était bel et bien aussi douce et gentille qu'elle en avait l'air, ne devrait-elle pas faire quelque chose pour la protéger un peu? Il lui semblait maintenant évident que Jarod avait une certaine ligne de conduite et que c'était probablement grâce à cela qu'elle était encore en vie. Mais cela ne voulait pas dire qu'il lui apparaissait comme "sain" pour autant. On ne devenait pas un tueur en série, sanguinaire de surcroît, sur un simple coup de tête. Il devait y avoir un terreau un peu "particulier" pour qu'une telle idée germe ainsi...

               -J'espère aussi... J'aime pas trop dépendre autant des autres en plus...

     L'irlandaise eut un léger haussement d'épaules avant de prendre une gorgée de whisky. Repoussant au fond de son esprit qu'elle allait vraiment devoir trouver un moyen de rapporter une vraie bonne bouteille à l'appartement, elle s'offrit quelques secondes de réflexion sur ce qu'elle devait faire. Surtout que la principale source de son questionnement avait eu la bonne idée de les laisser seules. En fait, cela revenait surtout à se demander jusqu'à quel point elle faisait confiance à Jarod et ce qu'elle connaissait vraiment de lui. Et on ne pouvait pas dire qu'elle le connaissait depuis longtemps et que leur rencontre avait été sous les meilleurs auspices... Elle n'était vraiment sûre de rien quand il était question de lui et se permettre de jouer avec une vie n'avait certainement pas le même impact s'il s'agissait de la sienne ou de celle d'autrui...

     Pourtant, elle ne pouvait dénier que le jeune homme semblait avoir une sorte de bon fond. Techniquement parlant, il lui avait surtout sauvé la vie. Et même si elle avait été aux arrêts les premiers temps, il avait tout de même pris la peine de la ramener chez lui pour s'assurer de son bien-être. Depuis il n'avait pas cessé d'être un gentleman à son égard ainsi qu'un parfait hôte. Elle qui s'était attendue à disparaître ou à croupir dans une cave oubliée de tous, elle se retrouvait avec un colocataire qui prenait soin d'elle. C'était assez troublant... Et elle avait même commencé à ne plus dormir avec une chaise coincée derrière la porte, ne cherchant pas à s'enfuir d'une quelconque façon. Indéniablement, Molly avait plus confiance en Jarod qu'en certains de ses soit-disant amis. Pouvait-elle donc prendre un risque calculé en laissant Ashley le fréquenter...?

               -Moi? Je suis serveuse! C'est pas le plus passionnant des métiers parfois mais je m'amuse quand même !

     Oui était la réponse pour laquelle l'irlandaise pencha finalement. Elle allait faire confiance à Jarod, le laisser mener cette relation qu'il avait avec cette mignonne qui méritait probablement qu'on prenne soin d'elle. Mais elle garderait un oeil discret sur le couple histoire d'éviter un coeur brisé ou arraché de sa cage thoracique... Molly se laissa tomber dans un des fauteuils, parvenant avec brio à ne rien renverser de son verre ce qui laissait transpirer une certaine habitude, avant d'indiquer le sofa avec un sourire. Puisque leur destin avait été cellé, autant en tirer une expérience positive au maximum... Et Ashley avait l'air d'avoir besoin de se détendre un peu...

               -Alors? Comment était votre journée...?

     Il y avait un intérêt sincère derrière sa question et l'irlandaise faisait tout ce qu'elle pouvait pour avoir l'air sympathique et accueillante. Sans pour autant lui faire peur en débordant un peu trop d'énergie comme elle pouvait l'être parfois... Le tout était que la mignonne finisse par se sentir à l'aise. Le fait que son attitude relativement détendue puisse nourrir les insécurités d'Ashley lui passa, par contre, des centaines de miles au-dessus de la tête...

Ma tante était une grande buveuse de vin. Je profite de cette soirée pour monter une bonne bouteille. J'ai presque l'impression de faire des fouilles archéologiques... Depuis qu'elle est morte, j'y suis descendu au bas mot deux fois pour ranger des cartons de vêtements d'été et d'hiver... J'allume la petite lumière et descends les escaliers, marche par marche. C'est ici que j'ai appris le Code. Ligne par ligne, dans cette cave à l'abri du monde qui juge chaque le moindre des agissements de mon alter égo qui ne fait qu'un avec la Nuit. Je suis le Ripper depuis maintenant six ans. Deux tueurs par mois. Vingt quatre par an. Cent quarante neuf depuis que j'ai enfilé le manteau... Et je suis toujours en vie, toujours libre, mais je n'ai pas l'impression d'être... Guéri. Complet. Et si au final, j'étais un danger pour Ashley ? Et si j'étais plus dépendant au meurtre qu'à celle que j'appelle Honey ? Je tue pour elle. A son insu, je la venge. Petit à petit, nom par nom, commanditaire par commanditaire. Lentement mais sûrement, ceux qui l'ont enfermée chez elle pendant des semaines tombent les uns après les autres... Mais au fond, est ce que c'est par pulsion que je me suis lancé dans cette chasse aux sorcières ? Ou par amour ? Je veux croire que c'est par amour. Je le veux... Ces souvenirs me font vagabonder dans la pièce obscure, allant des étagères aux pots de marmelade à la malle où je cachais depuis des années ma tenue du chevalier noir de Londres. Sans comprendre, sans savoir pourquoi, je me retrouve à genoux devant le gros coffre de métal. Je l'ouvre. J'y trouve quelque chose qui n'était pas à l'intérieur la dernière fois que j'ai ouvert cette boîte aux lourds souvenirs.

Un épais livre bleu nuit à la couverture douce. De la fourrure ? Je fronce les sourcils avant de l'ouvrir à la page de garde. Ici trône une note qui tombe de sa page.Je la lis. Une note écrite d'une plume légère, à l'encre noire. Signée d'un A d'une belle calligraphie. Anne... Je n'avais pas vu ce livre qui semble être écrit comme un journal. Au dos de la note, je constate que trois mots sont griffonnés. "canelle" et "sucre vanillé". C'est tout elle, ça. Sûrement les ingrédients qui font que son gateau amandes chocolat était meilleur que le mien... Je prends le livre avant de prendre une bouteille de vin, une autre d'eau de vie italienne et de remonter les marches.

Je regarde dans l'obscurité de la cave avant d'aller dans ma chambre un instant, le temps de mettre le livre bleu nuit dans ma table de chevet. Il semble détenir des éléments de mon passé que je n'ai pas ou plus... Je vais joyeusement voir mes invitées, l'air de rien avant de les interpeller.

- Désolé pour l'attente ! Je nous ai remonté un Prosecco et une bonne bouteille de grappa. J'espère que ça vous plaira ! Je me lance dans la cuisine, faites comme si j'étais pas là, discutez donc à votre aise !

Je passe pour quelqu'un qui est heureux de recevoir ses invitées. Et je veux me convaincre que c'est le cas... Je fais préchauffer mon four avant de préparer mon plat et mon gateau. Une pizza maison, mon gateau signature avec les quelques ingrédients secrets que ma tante ne m'a jamais énoncés de son vivant, de quoi régaler mes convives... On échange quelques banalités qui n'engagent pas trop sur le plan de la vie pour Molly, moi même ne la connaissant au final qu'assez peu par rapport à ce que je prétendais à Ashley pour la préserver de l'obscur mensonge... Tout ce qu'il y a autour de moi semble ne plus l'être. Avoir trouvé ce livre m'intrigue beaucoup. Qu'est-ce qu'il peut bien renfermer..? Qu'est-ce que je vais y trouver ou retrouver ? J'essaie de ne pas avoir trop l'air pensif et bavarde avec les filles, le sourire aux lèvres, le rire facile... Mes rires sembles vrais, poussés de bon coeur... Ca ne peut être de faux rires. Non...

     La jeune femme eut un éclat de rire en voyant la réaction d'Ashley à ce qu'elle lui avait servi... Personnellement, elle avait eu le temps de s'habituer au liquide. Il avait rempli son office dans les touts premiers temps, lorsqu'elle avait eu besoin de la brûlure de l'alcool pour retrouver un semblant de normalité. Jarod avait été très courtois et attentionné durant sa captivité mais c'était tout de même un ajustement à faire... Accepter le fait qu'elle était passée à deux doigts d'un destin détestable et que la personne qui lui avait sauvé la mise était un serial killer. Un tueur en série éduqué ainsi que doté d'un solide sens moral et d'un code de conduite qu'il suivait à la lettre jusqu'à maintenant. Cela faisait tout de même beaucoup à assimiler en une seule fois et elle n'avait pas tardé à devoir se reprendre en main une fois la première vague d'adrénaline et de surréalisme passée... Bien que mauvais, le whisky bon marché que le Ripper conservait chez lui avait aidé à calmer ses nerfs et à lui clarifier l'esprit. Ce n'était pas une question de s'oublier au fond d'une bouteille mais plus de retrouver une sensation familière pour pouvoir réaffirmer certaines informations élémentaires la concernant.

     Oui, elle était toujours l'irlandaise un peu frappée qui s'était enfuie à Londres dans l'espoir de commencer une nouvelle vie. Oui, elle était toujours la première à trouver les meilleurs plans dans la ville, que ce soit légal ou illégal, que ce soit pour le fun ou pour le travail. Oui, elle parvenait toujours à crocheter une serrure en quelques instants même avec une malheureuse épingle à cheveux. Oui, elle avait encore les doigts légers et sa collection de porte-feuilles n'était pas prête de diminuer. Oui, elle continuait à présenter une personna extravertie pour éviter de trop se révéler. Non, même séquestrée temporairement par un tueur en série dont elle ne connaissait quasiment rien, elle n'allait pas changer qui elle était. Ca passerait ou ça casserait... Au final, au bout d'un certain temps et d'un certain nombre de verres, Molly était arrivée à cette grande conclusion. Elle allait un peu se laisser faire et garder un oeil sur le Ripper. Et son whisky était vraiment merdique...

               -A qui le dis-tu ! J'avoue qu'à ce stade j'ai commencé à envisager des solutions drastiques... Un stage instructif pour qu'il apprenne enfin ce que vaut un vrai bon whisky.

     La jeune femme offrit un toast imaginaire avant d'adresser un clin d'oeil à Ashley...

               -Enfin, c'est une jolie formulation pour une virée à mon pub...

     Naturellement, la serveuse avait déjà l'air malicieuse et source d'ennuis. Avec l'air qu'elle affichait, proche d'un chat ayant dévoré une armée de canaris, elle respirait les mauvais coups sans pour autant que cela soit mauvais signe. Il y avait quelque chose de foncièrement gentil qui transpirait chez elle... Ce qui devait probablement pousser les gens à lui accorder une confiance limitée, juste suffisamment pour qu'elle les traîne derrière elle pour pouvoir faire les quatre cent coups. Bizarrement, avec ses airs doux et un peu hésitants, Ashley se présentait comme une cible idéale. Molly avait terriblement envie de la prendre par le bras, la traîner dans un endroit où elle pourrait lui planter un cocktail coloré dans la main et lui extirper le moindre de ses secrets. Avant de rentrer probablement complètement bourrées et mortes de rire au petit matin. Jarod ne serait probablement pas enthousiaste face à ce plan mais l'irlandaise commençait à se dire qu'elle allait le mettre en action d'ici peu...

     L'irlandaise n'extrapola pas sur les potentielles situations épiques qu'elle avait pu voir en partageant un appartement avec Jarod, se contentant de lui offrir un clin d'oeil complice. Elle était à peu près sûre que l'assassinat d'un violeur n'était pas le genre de situation épique qu'Ashley avait à l'esprit... Elle préférait donc ne pas trop s'avancer. Sans compter que son colocataire était particulièrement décent... Elle n'avait rien de bien croustillant à raconter d'ailleurs et elle préférait éviter de le mettre involontairement dans l'embarras... Et il n'avait pas besoin qu'elle gâte, plus qu'elle ne le faisait déjà par sa présence, une journée qui semblait s'être si bien passée.

               -Bateau ou romantique...?

     Malgré les pauvres goûts en whisky de Jarod, la tension commença à s'apaiser peu à peu entre elles, le permettant de parler un peu plus librement. C'était un moment agréable et Ashley était une jeune femme avec qui elle n'aurait aucune objection à se lier d'amitié. Même si la situation actuelle devait être un peu déstabilisante pour elle... L'Amoureux finit tout de même par remonter de la cave, porteur d'une promesse de bon vin et de bon spiritueux... Un digne repas italien donc, même si elle avait intérêt à faire attention avec la grappa. La discussion se fluidifia entre eux, Ashley étant probablement plus à l'aise maintenant qu'elle n'était plus seule avec l'irlandaise. La serveuse prit soin de leur laisser leur espace, laissant voir clairement qu'il n'y avait rien qui se tramait entre eux... Même si Molly pouvait être tactile et exubérante, elle n'en était pas encore complètement à ce stade avec son colocataire forcé.

               -Ah, tu m'as démasquée... Je suis une irlandaise en exile. Une dublinoise pour être plus précise...

     Même si elle évitait d'être trop associée à ses anciennes habitudes de vie, cela ne servait à rien de dénier l'évidence. Elle était irlandaise. Cela s'entendait, cela se voyait et cela se sentait. Ou presque... Même son nom d'emprunt était un hommage évident à sa ville d'origine ainsi qu'à sa patrie. Si elle était venue se perdre à Londres c'était à cause de son ancien mode de vie, non à cause d'un soudain besoin de changer d'air. Heureusement pour elle le mal du pays était compensé grâce au pub où elle travaillait... D'autres expatriés s'y retrouvaient et elle pouvait profiter d'une ambiance proche de ce qu'elle vivait là-bas. C'était un risque, bien entendu, mais elle prenait soin de ne jamais se faire reconnaître... De toute façon, elle avait suffisamment fait son trou pour pouvoir compter sur les autres si des clients commençaient à se montrer un peu trop curieux...

               -A nous deux on devrait être capables d'apprendre à Jarod à boire du bon whisky, non?

     C'était bien le genre d'annonce qui pouvait annoncer des ennuis à Jarod. Une coalition de femmes... Elle eut un ricanement faussement machiavélique avant d'aller chercher de quoi mettre la table et de disparaître dans la pièce d'à coté. La serveuse n'était peut-être pas grandement versée dans l'art de la table, mais elle allait faire en sorte de prendre son temps et de rester loin d'eux... Histoire qu'ils aient un petit moment en privé. Surtout si Ashley avait quelques questions à poser son cher et tendre au sujet de l'inconnue qu'elle avait découvert dans son salon...

Le courant a l'air de bien passer entre mon amoureuse et ma colocataire forcée mais tout de même complice... Je prépare ma pizza, coupe mes tranches de jambon en petits morceaux et les dispose sur ma pâte où j'ai déjà disposé ma sauce tomate faite maison. J'entends les filles discuter. Je suis content qu'Ashley prenne bien la présence de Molly. Elle ne se doute pas que l'Irlandaise a indirectement participé à l'assassinat de Fowler... Je souris. Oui. Je suis heureux. Cette soirée va vraiment être bonne... Très bonne. J'ai confiance en Molly, elle tiendra sa langue... La voilà qui se met à rire en parlant du fait que je bois du mauvais whisky. Du whisky ? Mais je n'en bois pourtant pas... Elle éclate de rire, comme une mauvaise comédienne. Et pourtant, je ris aussi.

- Dites donc, je vous ai entendues ! Où est ce que vous avez trouvé du whisky, dites moi ? La dernière bouteille qu'y avait là...

Puis je m'arrête. Je réfléchis. Anne... C'est vrai qu'elle en buvait parfois... Je claque des doigts, signe de ma réminiscence. Mais c'est bien sûr ! Quand j'étais jeune et que je la voyais boire ça, elle tenait des propos vulgaires...

- Ah c'est la bouteille que ma tante devait boire ! Je vous rassure, elle buvait plutôt du vin et elle avait bien meilleur goût dans ce domaine !

Molly finit par s'éloigner pour chercher de quoi mettre la table. Je vois Ashley qui arrive à côté de moi. Je mets mon index plein de farine sur le bout de son nez en petite taquinerie et je lui donne un long, doux et profond baiser, le sourire aux lèvres.

- C'est gentil de ta part de tolérer la présence de Molly, ce soir... Vraiment. N'importe quelle fille serait partie rien qu'à la voir sur le canapé. J'espère qu'elle te plaira, c'est vraiment une fille que j'aime beaucoup... Désolé de ne pas t'en avoir parlé plus tôt, je ne voulais pas vraiment dire qu'elle avait quelques soucis en ce moment sans lui en parler, par respect pour elle... Tiens, goûte moi ça, c'est assez relevé pour toi ?

Je sors une petite cuillère que je remplis de sauce tomate qui n'est pas passée sur la pizza avant de faire goûter ma préparation par un palais très fin : Celui de ma reine. Je lui souris en voyant qu'elle semble apprécier. C'est alors que la fameuse question est posée : S'il y a quelque chose entre Molly et moi... Je l'attendais ! Je lui souris chaleureusement.

- Molly et moi ? Non, jamais il n'y a eu quoi que ce soit entre elle et moi autre que de l'amitié, rassure toi... Ni hier, ni aujourd'hui, ni jamais. C'est toi qui m'a appris ce que voulait dire "être amoureux", alors sur ce sujet, tu peux être tranquille !

Je l'embrasse dans le cou, tendrement. Cette question, je l'avoue, me rassure. Pour moi, c'est une preuve supplémentaire qu'entre nous, c'est du sérieux. Je suis heureux. Vraiment heureux... Je termine d'émincer les champignons que j'ajoute à la pizza avant de la couvrir de gruyère, de parmesan, et d'un petit filet d'huile d'olive. J'ouvre la porte du four et y mets mes préparations. Tout sera parfait pour cette soirée... Molly revient et met la table. Trois couverts impeccablement mis. Je suis agréablement surpris par mon invitée qui a eu une bonne éducation niveau art de mettre la table. J'amène la bouteille de Prosecco avant de prendre un plat d'amuse-bouches pour le poser à la table. Tout est parfait... Je tire les chaises de ces demoiselles, les avance une fois qu'elles sont assises et m'installe à mon tour.

- Je vous sers le vin ?

Je débouche la bouteille et en sers une goutte à mes invitées, puis à moi. Règle numéro une du Code d'Anne concernant l'alcool : "Toujours faire goûter le vin à ses convives ! Plus tu aimes tes convives, meilleure doit être la bouteille. Pour celle que tu aimes, va pas en dessous de dix ans d'âge. La bouteille, pas la fille !". Je ne comprenais pas la blague à l'époque. Mais aujourd'hui, j'en ai un petit sourire... J'entends sonner.

- Tiens ? Tu attends quelqu'un, Molly ?

Evidemment que non... Elle est ici incognito. Je me lève lentement et vais vers la porte. L'oeil dans le judas, je croise le regard de Maître Lawliet. J'ouvre la porte et accueille ma supérieure hiérarchique.

- Kim ? Quelle bonne surprise ! Content de te voir...
- Moi aussi, Jarod. Je passais dans le coin alors je prenais de tes nouvelles depuis la fin de l'affaire Fowler... Oh ? Je vois que vous fêtez déjà la bonne nouvelle !

Kim s'avance dans mon antre et croise le regard d'Ashley. Elle ne connaît pas Molly, mais après tout, je n'ai plus de mensonge à inventer si elle me pose la question de l'identité de l'Irlandaise...

- La bonne nouvelle ? Celle parue dans le Times ce matin ?
- Absolument ! Ca explique la bouteille de vin, non ?
- Eh bien... C'était prévu ! Je reviens...

Je passe dans le couloir pour saisir ledit journal. L'article qui parle de notre coup de théâtre, à Molly et à moi... Je voulais révéler ça à Ashley à la fin du repas. Mais soit...

- Ah, je l'ai trouvé ! J'arrive !

Je retourne vers mes convives et lis l'article du Times. Il est temps qu'Ashley apprenne ce que je voulais lui apprendre dès ce matin en recevant le journal.

- << Le présumé violeur Bryan Fowler, impliqué et acquitté récemment dans une affaire de tentative de meurtre a été retrouvé mort vendredi matin dans un entrepôt en dehors de la ville. Le rapport du légiste a relevé des traces d'un passage à tabac à mains nues puis avec plusieurs objets, retrouvés autour de la victime. Elle a néanmoins reçu un coup de couteau qui n'a pas été retrouvé sur le lieu du meurtre. Les enquêteurs n'ont aucune piste quant à l'identité du meurtrier.>>

Je regarde Ashley à chaque mot que je prononce. C'est son salut. Enfin, elle est libre. Vraiment libre. Elle le sait... Bien entendu, j'ai déjà lu cet article. J'en suis déjà complètement satisfait. Le plus beau meurtre que j'ai commis. Celui pour libérer quelqu'un de sa tour d'ivoire... On se sourit et c'est alors que Kim me parle.

- Eh bien je ne vais pas vous déranger plus longtemps... Je pense que vous allez bien fêter ça ! Je vous l'avais dit, mademoiselle Wyatt. Vous avez gagné...
- Je te raccompagne, Kim.
- Inutile, je connais le chemin ! A lundi, Jarod, bonne soirée !

La blonde sort rapidement de chez moi. Je la regarde refermer la porte... Je prends la bouteille et en sers trois verres, une fois que Molly et Ashley ont dit l'apprécier. Je m'assieds et lève mon verre

- C'est quelque peu macabre de se rassurer de la mort de quelqu'un... Mais après tout, il l'a mérité ! A ta renaissance, Honey !

Nos verres se touchent. Nous trinquons pour la renaissance d'Ashley. Ainsi que la mienne...

     Ashley était en train de lentement mais surement se détendre en présence de Molly, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Elle comprenait parfaitement pourquoi la petite amie de Jarod avait du mal à accepter sa présence dans son appartement, même si elle ne se voyait absolument pas comme une rivale potentielle. L'irlandaise était loin d'être une petite fille sage, mais le Ripper n'était pas vraiment dans la catégorie de personnes qu'elle recherchait. Et malheureusement, ce n'était pas le coté "tueur" qui l'avait mis directement hors catégorie... Il y avait des moments où elle se disait qu'elle avait eu de vertes années vraiment trop particulières pour espérer avoir une vie normale par la suite. Déjà qu'elle avait du mal à se projeter dans deux ans...

     La soirée se poursuivit de façon fort agréable, la discussion allant de façon bien plus décontractée et fluide depuis que l'irlandaise avait laissé seuls les tourtereaux. Ils avaient du clarifier certaines choses... Elle fut tout autant surprise que Jarod et Ashley lorsque l'on frappa à la porte, devant même prendre sur elle pour ne pas montrer une trop grande tension. Son hôte ne manquerait pas de remarquer si elle était anormalement stressée par une simple visite impromptue. Mais elle ne put s'empêcher d'extrapoler l'identité de la personne se trouvant de l'autre coté de la porte. Pourvu qu'il ne s'agisse pas d'un des irlandais qu'elle avait essayé de maintenir éloignés de l'appartement. Elle ne savait vraiment pas comment cela tournerait s'ils se pointaient brusquement ici... Mal probablement. Mais avec des personnes innocentes, même si Jarod ne l'était pas complètement, au milieu, ce serait bien pire.

     Elle ne put s'empêcher de pousser un discret soupir de soulagement en constatant que l'invité mystère était là pour voir Jarod et Ashley. La serveuse parvint même à décrisper les doigts qu'elle avait refermé sur son couteau de façon purement instinctive. Comme si elle allait pouvoir se défendre avec cela... Elle observa l'échange avec une curiosité non masquée, analysant les réactions de chacun. Il n'y avait pas vraiment beaucoup d'informations à tirer de l'article de journal mais Molly avait accès à certaines données qui lui permirent de l'aborder avec un autre angle de vue. A bien y penser, l'irlandaise pouvait être fière d'elle. Elle pouvait même envisager une carrière dans le poker puisqu'elle ne laissa pas ses suspicions s'afficher sur son visage. Pour y parvenir, elle se garda bien de croiser le regard de Jarod, sentant bien qu'elle ne pourrait s'empêcher d'arquer un sourcil sarcastique.

     Parce que, quoi que l'on puisse penser, le Ripper était un homme délicat et attentionné, un vrai gentleman, il ne s'était pas étendu sur certains détails concernant Ashley. Ce n'était pas à lui de raconter certaines choses, surtout à une simple connaissance comme Molly. Même si un rapport de confiance s'était établi entre eux, il n'en était pas encore au niveau de ce type de confidence... Toutefois l'irlandaise n'était pas complètement idiote et, connaissant Jarod, il ne lui fut pas difficile de comprendre ce dont elle était actuellement le témoin. Visiblement le Ripper avait encore frappé et, cette fois-ci, la justice apportée était probablement un poil plus personnelle que d'habitude. Encore une fois elle se demanda ce que savait exactement la délicate jeune femme et qu'elle serait sa réaction si elle apprenait que la démise, violente et douloureuse, elle n'en doutait pas, de la personne qui devait incarner son pire cauchemar était du fait de son actuel petit ami. Certaines personnes se disaient prête à tuer pour l'amour d'une autre. Cela n'avait jamais été aussi vrai !

     La serveuse laissa son meurtrier de colocataire s'occuper de sa bien-aimée... La pauvre était secouée, ce qui se comprenait largement. Elle-même avait réchappé de peu à ce genre d'expérience et seul le fait qu'elle ait subi une commotion lui avait évité le choc lorsqu'elle avait vraiment assimilé la chose. Elle sortit un paquet de mouchoirs de sa poche et le poussa discrètement à portée de main d'Ashley. Elle accepta le verre de vin avec gratitude, jetant un regard chargé de sens à Jarod, profitant qu'Ashley lui tourne le dos. Il faudra tout de même qu'ils parlent un peu... Elle savait qu'elle avait probablement aidé indirectement mais un petite longueur d'avance sur ce genre d'informations serait appréciée pour les prochaines fois... Molly attendit quelques instants que l'émotion première soit passée avant de porter un toast...

               -C'est peut-être pas très élégant ni marquant mais je n'aurai qu'une chose à dire... "C'est bien fait pour sa gueule".

     L'irlandaise prit une grande gorgée de son verre sans le moindre regret. Fowler n'était certainement pas le type d'homme pour lequel elle verserait la moindre larme. Et c'était malheureux qu'il faille un serial killer pour s'assurer que ce type d'individu ne continuerait pas à hanter les rues à la recherche de sa prochaine victime. Mine de rien, elle était heureuse qu'Ashley soit enfin libre de vivre sa vie... Constater que la justice lui avait fait défaut ne devait vraiment pas aider à se reconstruire suite à ce genre d'expérience. Sursauter au moindre bruit, scruter les ombres, se dire que l'on ne fait qu'attendre la prochaine attaque... La jeune femme eut un frisson en imaginant ce type de vie. C'était plus de la survie qu'autre chose...

     En attendant, l'irlandaise se demandait si son vieux squatte avait encore une petite place pour elle... Déjà qu'elle s'était sentie de trop quand ils étaient arrivés, le sentiment se renforçait encore. Ils avaient peut-être envie d'être seuls pour pouvoir célébrer la bonne nouvelle en toute tranquillité. Elle n'aurait pas de mal à trouver un endroit relativement sûr pour passer la nuit au besoin... Le tout était de proposer la chose à Jarod en toute discrétion...

Je lis le soulagement dans les yeux d'Ashley. Je la vois, la sens ressentir la sensation de libération qui laisse à ma femme échapper une larme qui coule le long de sa joue. Ne pleure pas, Honey, tu es libre, maintenant ! Je t'ai délivrée de ces démons, ce dragon noir au coeur de métal qui t'a deux fois tuée a été tué ! Un simple coup de couteau l'a achevé après ma séance de torture et le déchaînement de ma colère contre lui... La même rage qui m'animait d'habitude pour mes meurtres. Bien que... Non. Cette haine était... Personnelle. Oui. C'était une affaire personnelle. Je pose ma main sur celle d'Ashley, simplement. Je la caresse de mes longs doigts et la regarde dans les yeux. Je vois des milliers d'étoiles dans ses prunelles... Je lui souris. Je suis heureux... Je lui réponds, content de lui apporter la nouvelle de sa libération totale, comme un oiseau qui détruit sa cage pour prendre son envol. Elle n'est plus prisonnière de sa tour d'ivoire, maintenant...

- Plus jamais il ne te fera du mal... Jamais plus... C'est fini, Honey...

C'est moi. C'est moi qui ai fait ça. Oui ! C'est moi ! Jamais je n'ai tué comme ça. En sept années, jamais je n'ai changé mon mode opératoire depuis que je l'ai adopté. Jamais je n'ai ressenti un tel sentiment d'apaisement et de libération d'un poids colossal sur le coeur. Jamais je n'ai tué comme ça, pour une raison personnelle... Pour elle. J'ai tué pour elle. Mes pulsions m'ont appelé pendant ces sept années. Besoin. Je tuais par besoin. J'ai tué par amour. Je comprends maintenant quelque chose que je ne connaissais pas auparavant. Je ne comprenais pas comment ou pourquoi on pouvait prendre la vie de quelqu'un pour quelqu'un d'autre. Maintenant qu'Ashley a illuminé mon coeur, tout s'éclaire. Je me sens bien à l'avoir près de moi. La seule. La première qui a réussi à faire de moi un homme qui éprouve des sentiments. Je ressens de moins en moins le besoin de m'emparer des vies des criminels qui méritent la mort... Je crois voir la lumière au bout du tunnel. Je finis par me lever et aller vers la cuisine avec les assiettes pour retirer ma pizza du four et la servir. Je m'empare de la roulette et dépose le plat sur le comptoir. Je coupe trois parts que je dispose sur les assiettes et les apporte finalement à table.

- Pizza faite maison pour ces demoiselles. En espérant que tout ça vous plaise !

Je m'installe à table et regarde mes convives boire le vin que j'ai ramené de la cave. Je souris. C'est la première fois que je fais un "repas de famille" avec des gens que j'apprécie... Molly. D'abord une témoin, dangereuse pour moi, mais finalement quelqu'un digne de confiance. Plus j'y pense, plus je me dis que j'ai bien fait de lui accorder autant de liberté. Je ne veux pas la voir rejoindre un squat, non pas parce que je ne l'aurai plus sous les yeux, mais ici, je sais qu'elle est en sécurité. D'ailleurs, sa façon de se tenir sur sa chaise me fait sourire. Elle me rappelle quelqu'un... Ashley. D'abord une amie numérique, puis quelqu'un qui est entré dans ma vie comme le lever de soleil que je n'attendais plus... Ce sont deux personnes qui comptent pour moi, maintenant. Je change. Je pensais que j'étais condamné à avoir des relations amicales pour me couvrir. Mais la réalité a décidé d'être toute autre... Je souris.

- Oh, suis-je bête ! J'ai oublié quelque chose...

Je me lève à nouveau et vais dans ma chambre, ouvrant le tiroir de ma table de chevet. Le livre bleu à la couverture de velours n'a pas bougé. Toujours là, à m'intriguer... Mais ce n'est pas ce qui m'intéresse maintenant. Je m'empare de la boîte qui est à côté de l'ouvrage et retourne vers mes invitées.

- Me revoilà...

Je dépose la petite boîte à côté de mon couteau et j'interpelle Ashley, qui semble intriguée par son contenu... Elle a raison. C'est pour elle. Avec un sourire, je prends à nouveau la parole.

- Je voulais te dire, Honey... J'ai oublié de prendre ça quand je suis venu te chercher ce matin, pourtant j'étais certain de l'avoir prise avec moi... Mais après tout, rien de grave, puisque je te l'offre ce soir...

J'ouvre la boite avant de sortir une clé que je dépose à côté d'elle. Elle m'a donné un double de son appartement. Je peux entrer chez elle quand je veux depuis un petit moment. Mais maintenant qu'elle peut sortir, elle pourra faire de même.

- Bienvenue chez moi, Honey... Tu peux venir quand tu veux, maintenant !

C'est sur ces dernières paroles qu'on commence à attaquer la pizza. Je sens que la soirée va être délicieuse... Oh oui. Maintenant que je peux apprécier un dîner en présence de plusieurs personnes, je compte bien en profiter et en faire profiter mes convives...