Lucy McGarrett courrait presque dans les rues de Londres, un café soigneusement empaqueté dans un gobelet Starbucks. Elle était vraiment en retard. Enfin non, elle n'était pas en retard. Son tableau horaire prévoyait qu'elle commence à travailler à huit heures et il était six heures dix. Mais pour elle, elle était gravement en retard. Son équipe n'avait plus qu'une journée pour rendre un énorme travail de recherche et de restauration pour une exposition temporaire qui devait prendre lieu le week-end à venir. En conséquence, tout le monde avait été convié à se présenter à six heures pile pour finir au plus tôt avant de devoir prendre une nouvelle journée habituelle en charge. Fichue vendeuse de café. Elle pouvait pas se dépêcher d'ouvrir plutôt que de draguer son collègue ?, se demanda la blondinette en arrivant enfin au niveau de l'entrée de service du British Museum.

Pendant plus de deux minutes encore, elle chercha son pass, craignant pendant tout ce temps de l'avoir oublié... encore une fois. Quand elle le trouva enfin, elle poussa un profond soupire, passa la carte magnétique dans le lecteur et composa le code avant d'entrer. Il lui fallu encore plus de trois minutes pour atteindre le vestiaire du personnel et elle savait qu'il lui faudrait encore quelques minutes pour traverser les galeries et rejoindre son département. Son chef de projet allait carrément péter les plombs.

Alors qu'elle posait ses affaires et attachait ses cheveux en un chignon lâche mais solide, Lucy compta mentalement les secondes qui s'égrainait, comme-ci cela pouvait lui permettre d'aller plus vite. Elle continua même de compter quand elle se mit en route vers sa destination finale, mais perdit le fil à quarante-deux... ou quarante-trois... à moins que ce ne soit quarante, quand elle réalisa qu'elle avait laissé son café dans son casier. Elle fit donc demi-tour précipitamment pour le retrouver.

La jeune employée du British Museum était presque au point de rendez-vous quand elle entendit un hurlement terrorisé qui trouvait son origine près des fragments du Mausolée d'Halicarnasse. Se figeant une seconde, elle vit quelqu'un sortir de là. Comme dans une scène digne d'un thriller policier, elle vit l'individu habillé tout de noir, portant un bonnet noir et une écharpe de même couleur lui remontant jusqu'au nez. Il n'avait presque que les yeux et quelques bouts de cheveux qui dépassaient de sous son accoutrement. Il disparut à l'angle d'un couloir avant qu'elle n'ait eu le temps de comprendre ce qu'il se passait et d'esquisser le moindre geste. Puis tout d'un coup, elle se réveilla, repris vie et se dirigea vers là où elle avait entendu le hurlement. Elle trouva rapidement Mandy Carter, étendue sur le sol, le cou rouge vif. « Oh Mandy !!! », appela-t-elle en se précipitant vers elle pour voir ce qu'elle pouvait faire pour l'aider, avant de se rendre compte qu'il était trop tard...

Une demi-heure plus tard, Lucy était assise dans un coin de la pièce, alors que les premiers policiers présent sur place poser des petits plots numérotés là où ils avaient trouvé des indices et qu'un médecin légiste arrivait à peine pour s'occuper du corps. Jambes croisées, le regard rivé sur le café froid qui trônait désormais à côté du drap blanc recouvrant le corps de Mandy Carter, elle tapotait fébrilement sa cuisse de la main droite, se rongeant les ongles de l'autre. Lorsque les secours étaient arrivés, ils lui avaient demandés de rester là, les policiers souhaitant sans doute l'interroger sur ce qu'elle avait vu. Elle avait eu beau dire qu'elle ne comptait pas quitter les lieux, juste aller s'occuper l'esprit et les mains le temps qu'on vienne l'interroger, ils avaient refusé tout net. Son supérieur était même venu quelques minutes plus tôt pour lui dire qu'elle ne devait pas bouger, qu'elle était en retard et que c'était mal, mais qu'au vu des circonstances, ils se débrouilleraient sans elle. Elle aurait apprécié cette sollicitude si elle n'avait pas senti tout l'agacement de l'homme de devoir lancer ce genre de bons mots compréhensif, avec un sourire pour la forme, devant le policier. Elle soupira pour la énième fois en regardant sa montre. Serait-ce malvenu que de se dire qu'elle avait eu de la chance que tout cela se soit passé si tôt, vu qu'elle n'avait même pas le droit à un coup de fil tant que l'inspecteur à qui était confié l'enquête n'avait pas donné son autorisation ?

De la chance. Elle se demandait si elle avait eu de la chance. Instinctivement, par remord, elle tourna les yeux vers le drap recouvrant Mandy Carter et se mordit la lèvre. Elle osait penser qu'elle avait de la chance, alors que cette pauvre Mandy était morte. Lucy avait peu l'occasion d'expérimenter la culpabilité et le remords. La plupart du temps, elle évitait de faire des choses qui lui amèneraient ce genre de sentiments. Mais là... Elle n'avait pas vraiment choisi. Son esprit avait imposé une idée et sa morale avait immédiatement rétorqué que ça n'était pas bien.

Elle vit finalement un homme arriver, poser quelques questions à un inspecteur déjà présent, puis il se dirigea vers elle, se présenta et lui présenta ses condoléances. La jeune blondinette hocha la tête pour le remercier, alors qu'il lui annonçait que ça allait être un moment difficile pour elle, mais qu'il fallait vraiment qu'elle lui raconte tout ce qu'elle avait vu. Une nouvelle fois, elle hocha la tête. « Oui... oui bien sûr je... j'étais en train de rejoindre ma salle de travail quand j'ai entendu hurler et j'ai vu... Quelqu'un, j'ignore qui il était entièrement couvert... sortir de là. Je me suis précipité pour voir ce qu'il... ou elle, avait fait et j'ai vu le corps de Mandy. J'ai essayé de la faire réagir », dit-elle la gorge nouée, « mais elle était déjà... morte. » Ravalant larmes et cri d'effroi, Lucy vit une jeune femme brune s'approcher et la bombarder de questions. Un peu déstabilisé, elle cligna plusieurs fois des paupières avant de se concentrer sur la brune. Elle fronça les sourcils en essayant de penser à tout et de n'oublier aucune question. « Je... J'ignore ce qu'il s'est passé. J'ignore s'il manque des choses. Je n'ai pas pu bougé de cette pièce et ici il ne manque rien. Mais le passage par cette salle est le plus court chemin pour rejoindre pas mal de sorties, publics ou privées depuis plusieurs autres salles. » Lucy chercha à nouveau les questions et se rappela. Par où, traces d'effractions, objet de la présence de Mandy ici à cette heure. « Je... je n'ai pas vérifié la porte de service. J'étais vraiment en retard et j'ai ouvert la porte comme d'habitude, mais... Toutes les entrées sont sous surveillance caméra et sous alarme. On ne peut pas rentrer sans le pass et le code hors des heures d'ouverture. Si les portes avaient été forcées, l'alarme se serait déclenchée. Quant à Mandy... Vous avez vu les affiches à l'entrée du musée. L'exposition temporaire de la semaine prochaine n'est pas prête, alors notre chef de projet nous avait donné rendez-vous à six heures pour essayer de tout terminer avant l'ouverture. »

Avec tout ça, la blondinette ne savait plus où elle en était. Leur avait-elle dit pour l'individu qu'elle avait vu ? Avait-elle dit qu'elle avait touché le corps ? Dans les films, ils prenaient les empruntes sur le corps. Il serait idiot qu'elle oublie de le leur dire et qu'elle devienne suspecte... De toute façon, à tous les coups, elle était suspecte. La première personne sur les lieux était toujours suspecte... non ? Elle avait envie de pleurer, de hurler son innocence, mais il fallait qu'elle reste calme. Qu'elle les aide autant qu'elle en avait les moyens. Qu'ils retrouvent celui qui avait tué Mandy, cette pauvre Mandy.