Sérieusement, qu’est-ce que les livreurs avaient tous à arriver au même moment ? Comme si ça ne suffisait pas qu’on ait deux absents dans le staff de ce soir, il fallait qu’en plus les livreurs arrivent tous dans la même heure. Bon, au moins ça sera fait vous me direz, pas de rangement de dernières minutes, m’enfin quand même. Pensez aux pauvres gars comme moi qui doivent tout transporter puis tout ranger ? Hein ? Okay, okay, c’était juste de la mauvaise foi et une pointe de flemmardise. Transporter les cartons de pailles, les cageots de citrons, menthe et autres produits nécessaires à la confection des cocktails, ça me plaisait pour être honnête, un peu d’effort physique ne me faisait jamais de mal, même si c’était juste mortel niveau chaleur avec mes hauts à manches longues. Certains collègues finissaient par me croire maso à porter sans cesse des hauts à manche longues, aussi fins soient-il. Mais je n’avais pas le choix. Dans les milieux des pubs, des serveurs ou serveuses tatoué(es) ne choquaient pas les clients (au contraire, c’est comme si ça donnait un peu plus de cachet à l’endroit) ; cependant je préférais ne pas prendre de risque à ce que quelqu’un ne reconnaisse le type de tatouages que je portais sur moi. La vie n’est pas toujours simple malheureusement. Même quand on en demandait pas grand-chose.

L’heure d’ouverture, enfin, et les clients qui affluaient déjà. C’est ça qui était bien avec ce job, on a jamais le temps de s’ennuyer. Même quand il n’y avait pas foule, on avait toujours quelque chose à faire. Une table à nettoyer, des verres à remettre en ordre, des gens à faire sortir du pub avant qu’ils ne fassent un coma éthylique (ils étaient généralement pour moi ceux-là, étant les rares vrais gros bras du pub)…Bref, on pouvait s’occuper. Aujourd’hui ne fit pas exception à la règle. Rush de midi, après-midi tranquille…Et voilà le début de soirée. La sortie des bureaux apportaient les premiers clients. Toujours les bureaucrates qui sont les premiers à envahir le pub passé 17h. Par la suite, c’était les soirées entre potes, les enterrements de vie de jeune filles, les anniversaires en tous genre…Je n’étais jamais le dernier à aller apporter ma petite touche à ce groupes-là, de ma bonne humeur, de mon humour, de ce que je possédais et que je pouvais partager dans la limite du correcte tout de même. Quand le pub organisait des soirées à thème, là…alors là…Attention les yeux les amis. Sauf ce que ce n’était pas le cas ce soir, donc nous verrons cela un autre jour.

Le service se passait bien, les beignets de mozza et les fish and chips partaient comme des petits pains. Non je ne parlerais pas de la bière, ça c’était évident que ça partait bien. C’était ce pourquoi un pub était fait : venir boire une bonne bière avant de devoir rentrer chez soi. Les clients étaient tous servis, ou presque. Il restait une femme, rousse, accoudée au bar qui n’avait pas encore sa boisson ou son repas, selon. Je m’approchai et, de mon éternel sourire aux lèvres, lui demandai.

"Alors Miss, qu’est-ce que je vous sers ?"

Marf…Ca n’avait franchement pas l’air d’aller fort pour cette jeune femme. Pas besoin de s’appeler Sherlock Holmes pour le voir, surtout quand elle l’admettait elle-même. C’est fou comme les gens avaient tendance à venir boire pour oublier leurs problèmes. Les Russes aussi vous me direz. Mais les russes buvaient en permanence dans l’espoir de se réchauffer un peu durant les longues journées d’hiver. J’avais vécu ce genre de traitement de choc après mon évasion de la prison…C’est physique, il faut avoir le foie solide et surtout, tenir son alcool. Parce que sinon vous finissez sous la table en moins de temps qu’il en faut pour dire Dasvidania. Ca m’a valu quelques cuites mémorables, avec Irina qui se bidonnait à côté. J’aurais dû lui faire payer son insolence à elle avant de partir ! Non, je plaisante, elle m’avait tellement aidé que je pouvais bien la laisser rire de mes malheurs avec l’alcool. D’ailleurs ça m’a servi à quelque chose quand même : connaître un peu mieux mes limites au niveau des alcools. C’est très pratique maintenant. M’enfin je ne buvais que peu, conduisant une moto, autant éviter.

Revenons cependant à notre chère rousse à qui j’avais déjà servi son fish and chips et sa bière, bon choix soit dit en passant, et qui venait de me commander un cocktail un peu plus fort qu’une simple bière. Ca me faisait mal au cœur de la voir comme ça. Non, c’est vrai que je ne la connaissais pas, mais j’ai bien le droit de trouver dommage qu’une aussi jolie femme soit triste. Nan je ne vais pas la draguer ça va pas ? Je ne flirt que si on commence quand je suis au travail, sinon c’est hors de question. Il ne faut pas déconner non plus, j’aime bien flirter mais pas au point de sauter sur tout ce qui bouge et qui porte une jupe. Surtout que vu la situation…je ne laisse pas tant de femmes que ça s’approcher de ma personne, alors il serait ridicule d’en draguer beaucoup si c’est pour n’en ramener aucune avec moi. En tout cas, la jeune femme en question devrait manger quelque chose. Certes, elle avait déjà mangé, mais vu qu’elle prenait de plus en plus d’alcool, mieux valait qu’elle mange un petit truc, pas forcément beaucoup, juste…Et j’eu une idée. Allant vers les cuisines, je leur commandais un petit pain aux lardons et l’apporta à la jeune femme.

"Vous feriez mieux de remanger un petit truc. Tenez, cadeau de la maison."

Qu’ils me le retirent de ma paye, je m’en fiche bien, ce ne sont pas trois livres en moins qui vont me bousiller mon équilibre financier. J’allais vers d’autres clients quand un autre collègue m’attrapa par la manche gauche, la relevant assez pour voir apparaitre un bout de l’inscription en Russe sur l’intérieur de mon bras et je libérais vite mon bras de son emprise, rabattant ma manche. Tout ça pour me dire qu’il faudrait que j’arrête de faire des cadeaux aux clients. Non mais comme si j’en faisais tous les jours ! Ils savaient très bien ce qu’il en était. Les seuls à qui je faisais des cadeaux régulièrement étaient Maddi et Ben, parce qu’ils comptaient beaucoup pour moi. Alors qu’ils arrêtent de se foutre de ma tronche…

La soirée battait son plein, le groupe live présent ce soir faisait un tabac et les clients affluaient de manière régulière sans jamais dégrossir. Ça ce serait pur bien plus tard, quand nous arriverions près de l'heure de fermeture, là où seuls les poivros habituels restaient et que je devais faire sortir. Moi ou mon collègue Garrett d'ailleurs; on était les deux grands gaillards du Pub, il était donc normal que nous nous retrouvions à cette tâche. Cependant l'heure n'était pas à la sortie des ivrognes mais bel et bien au service. Chose que je faisais sans relâche depuis près d'une heure maintenant. J'alternais entre le bar où je servais des bières en majorité, à la salle où je devais jongler avec mon plateau tout en naviguant dans une mer de gens joyeux et certains carrément souls. Ça rythmais bien la soirée c'était suffisant, pas trop ni trop peu. Parfait. Et j'en profitais donc pour me donner à 200%. Plusieurs fois le patron m'avait dis qu'à force de m'activer comme ça en salle à mon âge, je risquais de me diriger très tôt vers le pontage cardiaque. C'était bien mal me connaître que de croire cela. Je ne pouvais cependant pas lui en vouloir de s'inquiéter pour mon état de santé.

Il y eut une légère accalmie, le temps que les gens mange tranquillement et profite un peu de la musique et de la boisson dispensée ici. J'en profitai alors pour retourner derrière le bar, me servant un verre d'eau et le descendant d'une traite avant de m'essuyer le front avec un des torchons se trouvant dans le coin. Je ne m'étais pas attendu à entendre la jeune femme rousse parler. À priori je m'étais plutôt attendu à la trouver à moitié comateuse sur le bar à cause de la combinaison faible tolérance à l'alcool et alcools forts, mais non elle parla bel et bien. De mes tatouages. Si ce n'était pour mes réflexes, un verre aurait déjà embrassé le sol à l'heure qu'il est. Ce je m'y étais encore moins attendu.

Je me sentis d'un coup complexé, et je tirai inconsciemment sur le bout de mes manches. Elle les trouvait cool. Ah! La bonne blague. Enfin non, elle les trouvait probablement sincèrement très cool, mais je ne pouvais m'empêcher de penser que l'association du mot "cool" à mes tatouages ridicule. Elle ne pouvait pas savoir. Elle réagissait comme n'importe quel jeune de son âge qui voyait des tatouages. C'est vrai que, techniquement, je pourrais les montrer; pour le nombre de gens qui reconnaitrais leurs significations, je ne risquais, en théorie, pas grand chose, d'autant plus que, c'est vrai, avoir des tattoos quand on bosse dans un pub ça pète. Sauf que les tatouages que l'ont montrent sont ceux dont on est fier, que l'on a fait consciemment, que l'on a pas été obligé de faire pour sa survie. Je relevais les yeux vers la jeune femme, un sourire un peu mélancolique aux lèvres.

"Ils sont les vestiges d'une vie passée; ce n'est pas le genre que l'on affiche aux yeux de tous..."

Je ne sais pas si elle comprenait bien ce que je voulais dire par-là, mais peut importait. Tout ce que je souhaitais, maintenant, était qu'elle ne me pose plus de questions là-dessus. Qu'elle les ait vu n'était pas bien grave. Vu l'état dans lequel elle se trouvait actuellement, demain elle aurait une telle gueule de bois que soit elle ne se souvenait de rien, soit elle se souvenait de bribes, le genre qu'on a du mal à replacer et a recoller avec le reste. Dans les deux cas, le lien avec moi serait ténu, insignifiant. Je ne risquais rien.

Décidement, je ne savais pas qui était cette femme mais elle était un bien drôle d'oiseau. Elle aussi avait des choses à cacher et semblait encline à penser que ses secrets étaient plus dangereux pour elle que ceux que je me traînais en boulet. Peut-être bien après tout, je ne savais rien, je ne pouvais pas juger. Et même si je savais, qu'est-ce qui me donnait le droit de juger comme ça la dangerosité de ses secrets? Le gouvernements connais des secrets bien plus dévastateurs que n'importe quelle histoire de prisonnier britannique en Russie échappé de prison. Oh oui, bien plus. C'est pour ça que je préférais rester très loin de toute chose de près ou de loin reliée au gouvernement. Certes, avec Mycroft Holmes à la tête du MI-5, tout était relié de près ou de loin au gouvernement. Mais rien ne me pousserait sous les yeux scrutateurs de l'aîné Holmes tant que rien de fâcheux n'arriverait à Maddi. Car dans ce cas, je ne sais pas ce que je serais capable de faire...Beaucoup de choses stupides et dangereuses sans doutes.

Elle leva son verre et porta un toast; moi je levai un verre vide en cours de nettoyage pour lui signifier que je trinquais avec elle, ne serait-ce que par la pensée. Un sourire étira mes lèvres. Elle avait vraiment trop bu. J'espère au moins qu'elle rentre en taxi chez elle ou bien que quelqu'un vient la chercher parce que personnellement, je ne la laisse pas dans la rue seule dans un état pareil. Sans parler du fait qu'elle pourrait provoquer quelques accidents et incidents diplomatiques sans même le vouloir, elle pourrait rencontrer des situations fâcheuses et cela serait bien dommage. Vraiment. Bien qu'un peu bizarre sur les bords, je l'aimais bien cette petite. Enfin, basé sur le peu de temps où j'ai conversé avec elle. Sans dire que je me sente très proche d'elle, il y avait quelque chose dans son discours et ses paroles qui me rappelait un peu...moi. Malgré toutes nos différences flagrantes et celles que je ne voyais pas encore. Cette même mélancolie en parlant d'une vie passée, cette même douleur au fond des yeux quand on y repense...Je ne connaissais pas son histoire mais peu m'importait. On était similaire elle et moi, quelque part.

La soirée elle début de la nuit continua à battre son plein et régulièrement entre deux commandes j'allais faire un brin de causette avec la jeune femme, vérifiant son état de temps à autres. Puis le bar allait fermer. Il fallait qu'elle rentre chez elle un jour.

"Hey, mademoiselle. Vous voulez que je vous appelle un taxi? Ou quelqu'un qui pourrait venir vous chercher?"

Je n'étais pas obligé de la faire, aucune règle dans le bar ne m'obligeait à faire ça; mais je voulais toujours faire en sorte que le gens rentrent sains et sauf chez eux. Les souls du moins. Les sobres et simplement joyeux avaient encore assez de jugeote pour appeler un taxi eux-même.

Alors que je résume…Pas de possibilité de taxi, visiblement, personne ne se déplacerait pour venir la chercher (les pourquoi, je m’en fichais un peu pour le moment) et on allait fermer…Bien, il fallait trouver une solution parce que si elle n’avait même pas l’argent pour se payer un taxi il n’était pas possible d’envisager la solution hôtel. Elle proposa de rentrer à pieds. Je ne pus retenir un rire désabusé. Sérieusement ? Aux vues de son état et du fait que, possiblement, elle habitait à l’autre bout de Londres et que le métro était fermé, je ne pouvais pas, en citoyen responsable, la laisser faire. Hors de question. On pouvait dire tout ce que l’on voulait de ma rancune envers le MI6, il n’en restait pas moins que j’avais été formé à protéger les gens et plus particulièrement la population du Royaume-Uni. Jusqu’à preuve du contraire elle en faisait partie ; alors, même si le MI6 remontait à très loin (ou du moins est-ce l’impression que j’en ai), je n’allais pas la laisser rentrer seule chez elle dans les rues de Londres.

Je poussai un nouveau soupir. Ma bonté me perdra, je le savais déjà (ça et ma paranoïa sûrement, lequel des deux en premier, excellentes questions). Je réceptionnai la jeune femme dans mes bras, cette dernière gloussant pour un rien et émettant des sons, dont certains ressemblaient vaguement à des mots connus. Je la replaçai contre le bar histoire de la stabiliser.

"Attendez-moi-là, je vous ramène chez vous."

Chevaleresque ? Ouais, on pouvait dire ça comme ça, mais comme dit précédemment, je n’allais pas laisser une demoiselle complètement bourrée rentrer seule. Je prévins les autres de la laisser tranquille et ils me lancèrent tous (ou presque) des regards qui semblaient dire « en voilà un qui va s’amuser ce soir », auxquels je n’accordai aucune importance ou réponse. Je pris ma veste, mon casque de moto, enfilai l’une et gardai l’autre à la main je retournai dans la salle principale. Ouais…J’espérai qu’elle aurait au moins la force de s’accrocher, sinon on était mal. Au pire je payais un taxi, mais ne sachant pas où elle habitait et refusant catégoriquement de laisser ma moto ici (c’était mon bébé, mon p’tit trésor, hors de question que des gens avec leurs salles pattes la touche, namého !).

"Allez Miss, c’est parti. J’espère que t’as pas peur en moto. Tu penses pouvoir t’accrocher ?"

J’avais passé un bras autour de la taille de la jeune femme, un de ses bras à elle autour de mes épaules. Vrai, je portais une grande partie du poids mais ça passait. Je n’avais peut-être plus la force de mes 20 ans, mais j’avais d’un, de beaux restes, de deux elle n’était pas franchement très lourde. Le fait qu’elle n’y mette pas beaucoup du sien pour avancer l’alourdissait un peu mais bon, je survivrais. Maintenant, la chose amusante allait être de lui mettre, correctement, le casque supplémentaire et de la faire monter puis tenir sur la moto le temps du trajet…On arriva à ma moto et j’enfilai le casque de moto et sorti le deuxième.

"Ça ira ?"