-Wilson ?J'ai les billets !Wilson !

N'obtenant aucune réponse, je posais simplement le sachet plastique contenant les billets sur le bureau avant de quitter la loge du concierge. Après tout, celui-ci finirait bien par revenir et les trouver sans que je sois obligée de rester pour l'attendre. Et je lâchais un petit gémissement quand un rapide coup d'oeil à ma montre m'informa qu'avoir dû m'occuper de la fermeture et déposer ses fichus billets pour la loterie organisée par le magasin m'avait bien plus mise en retard que je ne me l'étais imaginé. Merveilleux, vraiment merveilleux, Lucy allait me tuer si j'arrivais en retard pour la soirée cinéma que nous avions prévue depuis maintenant une semaine.

Pestant contre moi-même, je quittais en courant le sous-sol, non sans manquer de m'étaler de tout mon long par terre à cause d'un mannequin mal placé. J'allais avoir un bleu mais ce n'était pas ça qui allait m'arrêter, ni même le cauchemar que pouvait être la circulation londonienne. Ça non, foi d'Harriet Watson !Fort heureusement pour moi, le cinéma n'était qu'à quelques rues du magasin, ce qui ne m'empêcha pourtant pas de piquer un sprint en talons. Un exercice ô combien périlleux qu'il fallait mieux éviter si l'on ne voulait pas se retrouver avec une cheville foulée dans le meilleur des cas.

Mais ces charmants instruments de torture féminine que sont les talons, d'où résultaient nombre de fractures et d'ampoules plantaires, furent loin de m'avoir et j'arrivais sans encombre au cinéma. Non pas que philosopher sur le danger des talons aiguilles puisse manquer d'intérêt mais mon esprit était plutôt occupé par la soirée à passer en compagnie d'une charmante jeune femme qui s'annonçait. Pour l'individu lambda, il ne s'agissait en effet que d'une simple soirée au cinéma mais pour moi, c'était un agréable moment passé en compagnie d'une personne qui m'était chère. Et comme à mon habitude, j'eu un sourire idiot en pensant à Lucy: belle, drôle, intelligente et terriblement attachante de par sa maladresse, comment ne pas fondre devant elle ?

Pour les moins romantiques, l'amour est un sentiment inutile et abrutissant. Inutile ?Loin de la là. Abrutissant ?Non, qui rend heureux, ce qui est totalement différent. Reprenant un pas normal aux abords de l'établissement tout en m'efforçant de reprendre mon souffle accéléré par ma course, je défroissais mon chemisier du plat de la main en examinant mes vêtements pour être certaine de leur bonne tenue. Tout étant ok de ce coté-ci, je rejoignis tranquillement ma Lucy qui patientait devant le cinéma sans m'avoir remarquée.

-Attendez-vous quelqu'un belle demoiselle ?

Le bonheur. Il était toujours difficile de lui donner une signification précise, car nous le définissons chacun à notre manière, avec nos aspirations, besoins et manques. C'est un sentiment vivant, changeant. Pour certaines personnes, il consiste à gagner à la loterie, pour d'autres c'est juste d'avoir une vie bien tranquille. Pour moi, le bonheur est d'avoir une personne à aimer à mes cotés. Certes, le bonheur n'est pas une réalité statique, ni même une satisfaction définitive impossible à satisfaire totalement. Et comme certains semblaient le penser, il n'était pas difficile d'y accéder, ni même réservé à quelques êtres l'ayant mérité ou acquis par quelque action que ce soit. La preuve puisque je l'avais trouvé auprès de Lucy. Mais quel que soit notre bonheur, nous nous accrochons de toutes nos forces à lui pour le préserver. On dit également que pour accéder au bonheur, certains sacrifices personnels sont nécessaires. Et de mon avis, sacrifier l'alcool au bénéfice de notre relation était sans doutes la meilleure chose que j'ai jamais faite de toute ma vie. Car en repensant à toutes les relations que mon ex-alcoolisme avéré avait fait foirer, aussi bien personnelles que sentimentales, sans compter celles qui m'avaient aidée à m'enfoncer encore un peu plus, je ne regrettais absolument pas d'avoir fait ce choix. Le dicton "Vivre d'amour et d'eau fraîche" ne pouvait pas être plus vrai.

Et tant mieux si cette décision avait surprit bon nombre de personnes, car surprendre était quelque chose que j'arrivait parfaitement à faire. Et plus encore quand il s'agissait de surprendre ma belle, comme me le montrait son sourire heureux. Seigneur que j'aimais cette femme...Et comme à chaque fois, mon coeur s'emballa furieusement quand elle me serra dans ses bras. Et peu m'importait de la savoir réticente à m'embrasser devant les gens qui nous entouraient quand ce n'était pas moi qui le faisait en première. Je ne lui en voulais pas d'être mal à l'aise quand nous nous affichions en public, bien au contraire. Moi aussi l'avais-je été quand le vague souvenir de ma toute première relation me traversa très rapidement l'esprit. Mais étant passionnée en amour et me satisfaisant difficilement d'une simple étreinte, j'embrassais doucement ma dulcinée. Juste assez pour ne pas trop l'embarrasser mais suffisamment longtemps pour montrer à d'éventuels curieux que nous partagions bien plus qu'une simple amitié. Mon baiser obtenu, je regardais les affiches des films affichés sur la devanture du cinéma et décidait avec galanterie de laisser la belle demoiselle qui m'accompagnait décider puisque moi-même n'avait aucune idée. Quel que soit le film que nous allions voir, j'allais de toute manière certainement être plus intéressée par le fait de la contempler que par le film de toute manière...

Sans savoir exactement pourquoi, je me remémorais ma toute première sortie en soirée avec ma toute première petite amie. Une soirée que je n'avais pas osé refuser, même si je me rappelais encore avoir préféré rester chez moi avec un gros pot de glace au chocolat en pensant à mon père qui aurait ainsi fêté son anniversaire plutôt que sortir en boîte. Mais je venais de m'engager dans une relation avec une fille qui aurait été malvenu de délaisser. Même si avec le temps, larguer cette fille sans tarder aurait été une bonne chose car cette dernière avait largement contribué à mon état actuel d'alcoolique plus préoccupée par sa bouteille qu'à empêcher sa vie de se foutre en l'air. Ah non, ça c'était avant. Avant qu'une véritable déesse blonde ne vienne secouer la loque que j'étais devenue et me rendre l'amour-propre que j'avais peu à peu perdu. Et ça, il y avait peu de chance que j'arrête un beau jour de lui prouver combien je pouvais lui être reconnaissante pour tout ce qu'elle m'avait permis d'accomplir: non seulement pour moi, mais aussi pour elle. C'était d'ailleurs surtout pour elle que je me battais avec autant de volonté contre mes vieux démons, quand bien même je restais fermement convaincue que je ne retomberais pas aussi facilement dans ce poison qu'était la boisson. Mais pour l'instant, nous avions un film à choisir. Dans la file d'attente, je passais un bras autour de la taille de ma dulcinée qui regardais les affiches, ayant remarqué les regards visiblement très intéressés d'un gars non loin envers elle. Je le foudroyais du regard, n'appréciant pas de le voir ainsi lorgner ma compagne. Oh bien sûr, je trouvais extrêmement flatteur qu'on puisse la trouver désirable, mais j'étais jalouse. Extrêmement jalouse et prête à montrer les crocs si on l'approchait de trop près. Toute fière de moi d'avoir effrayé le gars qui n'osait même plus nous regarder, je tombais sur le regard presque suppliant de Lucy.

-Bon alors...Je ne suis pas accro aux films d'ados, je refuserais d'aller voir un film d'horreur sous la menace, je n'ai pas envie d'un film bruyant et pas envie d'aller voir une comédie même romantique...Je penses qu'il ne reste plus qu'à aller voir de pauvres personnes innocentes se perdre dans les méandres de l'esprit humain, film qu'une charmante personne ici présente me semble très pressée d'aller voir cela dit en passant...

Avec un sourire, je payais nos places pour le film voulu par Lucy et ce fût après quelques minutes d'attente qu'il nous fût possible de nous installer dans la salle. Avec le traditionnel pop-corn bien entendu, l'inconditionnel élément de toute soirée cinéma réussie. Même quand les lumières s'éteignirent, la salle demeura peu remplie, ce qui nous permis de chuchoter en toute liberté durant les bandes-annonces pour donner notre avis sur ces dernières. Les bandes-annonces étant l'un de mes moments préférés chaque fois que je venais au cinéma. Cela bien sûr avant que le film lui-même ne commence, puisque j'en profitais pour voler à nouveau un baiser à ma belle, ma main serrant avec douceur la sienne. Dans le noir presque complet, dans cette salle presque silencieuse si l'on oubliait les gens chuchotants entre eux et piochant régulièrement dans leur pot de pop-corn, je me sentais totalement détendue. Comme si rien, et c'était le cas, ne pouvait venir troubler cet instant de loisir avec ma Lucy que j'adorais voir sourire, déjà scotchée devant le film. J'adorais déjà cette soirée...