La sonnerie du téléphone réveilla Jynn en sursaut. Fronçant les sourcils elle jeta un regard à son réveil. Ce dernier indiquait cinq heures vingt du matin. Qui diable pouvait bien la réveiller à cette heure là ? « Allo ? » Décrochant, ce fut le seul mot qu'elle eut le temps de dire de sa voix encore endormie. Le travail. Elle s'arracha difficilement de ce cocon chaud et rassurant qu'était son lit pour filer prendre une douche rapidement. Les somnifères que lui avait prescrit le dernier médecin qu'elle avait consulté se trouvaient être plutôt efficaces, son cycle était presque revenu à la normal. En réalité ça faisait des années qu'elle traînait cette histoire d'insomnie et son embauche dans l'équipe de police l'avait finalement décidé de régler cette histoire. Se préparant en vitesse elle attrapa son badge qui la laissait passer les barrages de police. Jynn n'était pas un agent à proprement parlé puisqu'elle était d'abord docteur en psychologie mais ses capacités avaient vivement intéressé le chef du département de police si bien qu'elle avait signé un contrat de travail deux jours après. Elle s'équipa du taser électrique qu'on lui avait confié avant 'd'assurer sa sécurité'. Elle secoua la tête avant de mettre l'engin dans son étui, comme si elle pouvait être protégée par un taser face à un assassin. Elle devait rejoindre l'équipe de police dans un parc près de la ville. Par miracle, sur le chemin elle tomba sur un Starbucks déjà ouvert. Elle s'y arrêta afin de se prendre un café afin d'être au maximum de ses capacités.

Si on avait fait appel à elle, ce'était très certainement parce qu'il y avait un témoin ou un proche de la victime présent sur les lieux du crime. Les lumières des voitures de polices l'éblouirent quelques secondes alors qu'elle cherchait le lieu. Encore plus efficace qu'un GPS leur lumière et leur sirène. Le ciel commençait à s'éclaircir même si quelques étoiles étaient encore visibles dans le ciel. Quittant l'habitacle chaleureux de sa voiture elle se dirigea vers son équipe qui était déjà sur place. La jeune femme n'avait pas le droit à l'erreur, c'était sa première réelle affaire et elle devait faire ses preuves auprès des autres pour être totalement acceptée auprès de ses collègues. La plupart d'ailleurs avaient pris à la rigolade son rôle dans l'équipe si bien qu'ils ne lui accordaient aucune importance. La majorité avait montré un air de supériorité face à elle, être une femme et une 'bleue' n'allait pas être de tout repos pour elle visiblement. Elle passa les barrières de sécurité sans aucun soucis grâce à son précieux badge. Un policier la regarda avec insistance avant de se gratter sous le nez. Jynn fronça les sourcils, écoeurée. « Même pas en rêve. » Murmura-t-elle avant de s'éloigner rapidement. Vous saviez qu'il y avait du tissu érectile sous le nez des hommes ? Alors oui, si ça les gratte c'est plutôt gênant voyez vous. Des badauds étaient postés tout autour de la scène de crime certainement alertés par les gyrophares des voitures. « Bonjour Monsieur, j'ai fait aussi vite que j'ai pu. » L'informa-t-elle alors qu'il lui adressait un sourire amical.

Tout le monde s'activait autour d'elle, telle une fourmilière en plein travail. « Ah, Cameron, bonjour. J'aimerais que vous observiez cet homme là bas, il a retrouvé le corps en allant courir et dans quelques minutes la fiancée de la victime devrait arriver j'aimerai savoir un maximum de choses sur eux. Si vous avez besoin de leur parler ou autre, faites à votre guise. » Lui dit-il avant de repartir un peu plus loin. Elle but quelques gorgées de café noir qui la réchauffa sur le coup. Elle marcha jusqu'au corps de la victime, encore un qui n'avait pas été épargné. Elle détourna bien vite les yeux du cadavre, elle n'était pas le genre de personne à aimer voir des corps sans vie par plaisir. Si au début elle avait voulu être médecin c'était plutôt pour sauver des vies et éviter ce genre de spectacle. L'homme qui avait retrouvé le corps était actuellement interrogé par un agent, mais ce n'était pas un soucis. Jynn n'avait pas besoin de leur parler en général et elle n'écoutait jamais ce qu'il racontait. Le corps parlait à leur place et lui il ne mentait jamais. Elle se plaça à quelques mètres observant la scène avec attention. Ce pauvre joggeur n'avait rien à voir avec l'enquête hormis peut être qu'il s'était retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment dans un sens. Concentrée, quelqu'un la bouscula, ce qui la fit revenir à la réalité aussitôt. Elle releva la tête avant de reconnaître l'homme qu'elle avait vu il y a quelques temps à son cabinet et avec qui elle avait partagé un verre. Surprise de le voir ici elle le salua. « Docteur Watson ? Bonjour. Et bien quelle surprise de vous revoir ici ! » Il était clair qu'elle ne s'était pas imaginée le revoir alors qu'elle travaillait. Il n'avait pas l'air triste, il ne devait donc pas connaître la victime. « Vous êtes aussi légiste ? » L'interrogea-t-elle alors, avec curiosité. Décidément, le monde semblait être petit.

Les cernes sous les yeux, les cheveux en bataille, mal rasé, baillant fréquemment, nul besoin d'un Sherlock Holmes pour comprendre que John aurait volontiers dormi quelques heures de plus. C'était bien sûr sans compter sur son colocataire, qui n'avait que peu de considérations pour son temps de sommeil. Heureusement pour lui, John avait fini par s'y habituer, et ne s'en plaignait pas vraiment. Si c'était le prix à payer pour mener une existence qui le tirait du morne quotidien du londonien lambda, il était plus que consentant.

Quant à son réveil, et bien il se souvenait vaguement avoir entendu Sherlock appeler son nom tout en le tirant sans ménagement hors du lit (si John n'avait pas été aussi endormi, il lui aurait probablement demandé ce que diable il fichait dans sa chambre) et s'en était suivi une longue diatribe durant laquelle il n'avait saisi que quelques bribes de mots, comme "appel de Lestrade", "cadavre dans Hyde Park", "même pas un 4", "ennuyeux", "t'ai appelé un taxi", et "rapport détaillé". Il s'était habillé dans un état second, était descendu pour se préparer un café, mais à peine était-il paru que Sherlock lui avait passé sa veste sur les épaules et l'avait poussé dehors sans autre forme de procès, malgré les faibles protestations du docteur.

Et, comme promis, un taxi l'attendait au pied de l'immeuble.

« Monsieur Watson? »

John acquiesça d'un air endormi pour confirmer son identité au chauffeur et monta rapidement dans la voiture afin d'échapper à l'air encore frisquet de la nuit.

Quelques minutes plus tard, le taxi s'arrêta non loin de la station Lancaster Gate et en sortant, John fut accueilli par les lumières aveuglantes des gyrophares et sirènes des voitures de police. Il cligna des yeux plusieurs fois pour s'adapter à cette lumière artificielle qui laisserait bientôt place à celle, plus naturelle, des premiers rayons du soleil, et s'apprêtait à claquer la porte lorsque la voix du chauffeur s'éleva:

« Hey, attendez, vous n'avez pas payé la course! »

John pesta entre ses dents, alors qu'il cherchait la monnaie dans son porte-feuille, et nota mentalement le tarif pour le réclamer plus tard à Sherlock.

On le laissa passer sans difficultés sous les bandes jaunes - ceux qui étaient de l'équipe de Lestrade le reconnaissaient à présent sans peine, même si les quelques regards curieux que certains lui décrochèrent avant d'être mis au courant par leurs co-équipiers acheva de le convaincre que sans la silhouette élancée et le long manteau du détective, il lui était plus facile de passer inaperçu. De toute façon, après les récents évènements en date, il ne devait plus y avoir beaucoup de personnes à Londres ne connaissant pas son visage. John n'aimait pas particulièrement la perte de son anonymat. S'il était vrai que cela lui facilitait les approches auprès de la gent féminine, John avait toujours été quelqu'un de modeste et discret. Monsieur Tout-le-monde. En apparence, du moins. Et cela lui convenait.

Il remonta la fermeture éclaire de sa veste jusqu'au col, enfonça ses mains dans les poches et s'approcha de l'endroit où les officiers étaient concentrés. Lestrade semblait occupé à parler avec ce qui devait être un témoin et John décida de s'approcher d'un policier qu'il reconnaissait vaguement pour l'avoir côtoyé à plusieurs reprises sur de précédentes scènes de crime.

« Je viens d'arriver, vous pouvez me dire ce qu'il s'est passé? »

L'agent ne semblait pas étonné de ne pas voir Sherlock à ses côtés - Lestrade avait probablement fait passer le message - et il lui donna quelques indications sur les informations qu'ils avaient - pas grand chose, apparemment. Sherlock avait eu raison de ne pas se déplacer. Il hocha la tête et prit quelques notes sur un calepin, gardant à l'esprit les éléments que le détective lui demandait habituellement d'observer, avant d'enfiler les gants qu'on lui avait donné et de se pencher sur le corps de la victime pour l'examiner de plus près.

Il n'était pas médecin légiste, mais il avait suffisamment de connaissances pour évaluer l'heure du décès après quelques observations (température corporelle: très basse, mais variations possibles du fait de la fraîcheur nocturne - peau violacée: au moins trois heures - rigidité cadavérique importante: au moins sept heures, peut-être huit). Pas d'hématomes ou de signes de luttes, ni de blessures visibles. L'homme aurait très bien pu simplement mourir d'un arrêt cardiaque en faisant un footing, n'eut été son costume Dolce & Gabana peu approprié pour l'exercice et le fait que le corps avait été clairement caché sous un buisson dans le but de ne pas être remarqué immédiatement. John esquissa un sourire sans s'en rendre compte - s'il n'avait en rien les étonnantes capacités de déduction de Sherlock, force était de constater qu'il en avait emprunté quelques réflexes. Il prit note de ses conclusions, mais ne pouvait pas faire grand chose de plus pour le moment - seule une autopsie pourrait lui donner les circonstances de la mort. En somme, son travail s'arrêtait là.
Il se releva lentement en rangeant le calepin dans sa poche et s'apprêtait à se frayer chemin vers la sortie du parc lorsqu'il percuta involontairement une jeune femme.

« Oh, pardon, je suis vrai-... »

Il interrompit ses excuses marmonnées à la hâte lorsque la personne leva les yeux sur lui et le salua.

« Docteur Watson ? Bonjour. Et bien quelle surprise de vous revoir ici ! Vous êtes aussi légiste ? »

Le manque de sommeil et la surprise n'aidant pas, il fallut quelques secondes au docteur pour replacer le visage de la jolie rousse dans ses souvenirs, mais il se fendit bien vite d'un sourire sincère.

« Jynn ! A croire que le destin aime à nous réunir... »

Il avait le vague souvenir que la jeune femme n'avait pas été très réceptive à ses avances, mais il ne pouvait empêcher son naturel un peu séducteur avec les femmes, c'était à peine s'il s'en rendait encore compte. Réalisant qu'elle lui avait posé une question, il ajouta rapidement:

« Ah, non, non, rien de tout ça. Je vous avais parlé de mon collègue, le détective Sherlock Holmes, vous vous souvenez? Apparemment, ce n'était pas un cas suffisamment intéressant pour qu'il daigne se déplacer, mais semble-t-il pas assez inintéressant pour que je n'aie pas à me déplacer... »

Il grimaça d'un air mi-amusé, mi-blasé, habitué au comportement pas franchement conventionnel de son ami. Tout en détaillant la flamboyante rousse, il re-situa rapidement ce qu'il savait sur elle et son travail, et se remémora ainsi dans quel contexte ils s'étaient rencontrés.

« Comment allez-vous? Vous avez toujours vos problèmes d'insomnie? »

« Jynn ! A croire que le destin aime à nous réunir... » Un sourire des plus sincères apparut sur son visage et à son tour elle ne put s'empêcher de sourire. Il n'était pas tous les jours faciles de vivre dans un monde où chaque émotions, chaque mensonges n'échappaient pas à ses yeux experts. Parfois elle regrettait de savoir décrypter les gens aussi aisément, un simple coup d'oeil et elle pouvait anticiper la réaction des autres. Voir un proche ou un collègue la mettait toujours mal à l'aise et très tôt sa faculté avait eu le don de l'isoler. Après tout on a tous nos petits secrets, un jardin secret à protéger. Laisser un inconnu s’immiscer est rarement bien accepté, mais elle s'y était faite. Elle ne parlait que très peu de son travail et de ce don qui lui avait permis de décrocher un job tout à fait convenable. « Effectivement, je dois dire que je ne m'attendais pas à vous revoir dans de telles circonstances. » Fit-elle alors remarquer avant de porter un rapide coup d'oeil au cadavre qui était examiné un peu plus loin. Il fallait bien avouer qu'il y avait plus agréable comme réveil, très tôt en matinée. La caféine qu'elle tenait dans les mains commençaient doucement à faire son effet. Elle balayait du regard tous les visages qui étaient autour d'elle en quelques secondes, elle n'oubliait pas pourquoi elle était là.

Mais une fois de plus elle ne serait certainement pas utile. Si on ne lui présentait pas les bonnes personnes elle ne pourrait pas avancer son équipe. « Ah, non, non, rien de tout ça. Je vous avais parlé de mon collègue, le détective Sherlock Holmes, vous vous souvenez ? Apparemment, ce n'était pas un cas suffisamment intéressant pour qu'il daigne se déplacer, mais semble-t-il pas assez inintéressant pour que je n'aie pas à me déplacer... » Elle saisit l'expression du docteur, qui semblait légèrement agacé de se retrouver très certainement, de si bonne heure, seul sur la scène de crime. Il était vrai qu'ils avaient vaguement parlé du détective, mais son nom lui était davantage familier de par ses collègues, dont elle les avait entendu parler de lui. La plupart ne le portait pas du tout dans leur cœur, seul Lestrade avait montré de l'admiration à l'évocation du détective consultant. « Oh oui je vois, c'est donc de vous et de ce fameux Mr Holmes dont parlait l'équipe. J'ai déjà surpris une conversation il n'a pas l'air d'être beaucoup apprécié par certains de mes coéquipiers. » L'informa-t-elle dans un sourire amusé. Jynn n'avait jamais eu l'occasion de le rencontrer réellement, elle l'avait parfois aperçu au commissariat ou même à la télé. Comme tout le monde elle avait été curieuse d'en savoir plus sur ce détective qui venait donner souvent un coup de main à Scotland Yard. « Comment allez-vous? Vous avez toujours vos problèmes d'insomnie? »

S'inquiéta-t-il alors, prenant des nouvelles de la jeune femme. Un sourire franc se dessina sur son visage, elle ignorait si c'était les médicaments que lui avait prescrit le docteur ou bien si son nouveau mode de vie et son travail avaient quelque chose à y voir mais les résultats étaient là : elle semblait avoir repris un cycle de sommeil tout à fait normal. Même au quotidien elle pouvait noter la différence, elle n'était plus fatiguée et une nuit de sept heures réussissait à la remettre totalement en forme. « Franchement ? Je revis ! Je crois que votre traitement plus mon nouveau mode de vie se mélangent à merveille. Je dors de nouveau comme un bébé et Dieu sait à quel point ça remonte à loin. Je ne peux que vous remerciez. » Se confia-t-elle tout en lançant le ton de la plaisanterie. Le moins que l'on puisse dire, c'est que malgré elle, Jynn était une jeune femme sociable quand on ne l'évitait pas. Elle savait prendre sur elle, faire abstraction de ce qu'elle pouvait lire, bref se conduire comme tout le monde le faisait. La nature humaine était plutôt mal faite en réalité. Pourquoi les gens croient-ils toujours les seuls à avoir des choses à cacher ? Après tout on a tous quelque chose à cacher, des faits qu'on aimerait oublier. Elle fit quelques pas, invitant le docteur à la suivre histoire de pouvoir observer un peu tout le monde, comme si de rien n'était. Elle porta son regard sur le médecin, s'intéressant un peu à cette affaire de meurtre dont elle n'avait finalement pas su grand chose. « Alors, votre avis sur cette affaire, intéressante mais pas tant que ça ? » Le questionna-t-elle, curieuse. A vrai dire son domaine à elle c'était plus les vivants. Si dès son plus jeune âge elle avait voulu devenir médecin, elle avait eu affaire à trop de décès pour avoir envie de côtoyer ça quotidiennement. Ironie du sort quand on sait qu'elle travaille avec la police. Et pourtant elle voit les choses autrement. Elle n'avait pas la vie d'inconnus entre ses mains ou du moins pas directement. Elle n'avait pas de liens avec les victimes, elle ne connaissait pas les cadavres. Et elle avait réussi à trouver un équilibre dans tout ça aujourd'hui.