Je soupirai devant mon écran. J’avais fini tout ce que j’avais à faire et j’avais encore une demi-heure devant moi. Qu’est-ce que j’allais bien pouvoir faire ? Après quelques minutes de réflexion, je décidai de hacker quelques systèmes. Rien de bien méchant : s’infiltrer dans quelques données n’allait tuer personne après tout ! Je m’infiltrai donc jusqu’aux dossiers sur le personnel du Yard (en notant au passage à quel point c’était fou de voir que la moindre personne un tant soit peu douée en informatique pouvait accéder à sa guise aux dossiers du Yard). Une fois arrivé sur la base de données, je m’interrogeai : de quelle personne pouvais-je regarder le dossier ? Sur qui voulais-je découvrir des choses ? Finalement, j’entrai le nom de la seule personne que je connaissais un peu ici : Garance Jenson. Je souris en pensant à elle.
C’était une fille qui bossait au service des homicides. Dès que j’étais arrivée elle était venue me voir pour me demander ce que j’avais fait avant de venir ici. Je l’avais donc trouvé très directe (et plutôt impolie aussi ; après tout, elle n’avait même pas pris la peine de se présenter avant). Mais, Dieu seul sait pourquoi, je lui avais répondu. Je m’attendais à ce qu’elle soit choquée et s’en aille. Après tout, elle voulait surement gagner des échelons et fréquenter quelqu’un qui s’était fait virer du MI5 pour ce que j’avais fait n’était peut-être pas la meilleure façon d’y arriver. Mais elle m’avait regardé avec un immense sourire et lancé un « mon gars, félicitations ! » que je n’avais pas compris. Finalement elle s’était présentée et depuis, elle passait régulièrement vers mon service pour parler, ou juste me faire un sourire de loin. L’un dans l’autre je l’aimais plutôt bien. Je ne comprenais d’ailleurs pas pourquoi tout le monde disait que c’était une garce de la pire espèce.
Je cliquai donc sur le fichier portant son nom et commençait ma lecture. Garance Jenson était née le 21 janvier 1986 à Londres. Elle avait donc deux ans de moins que moi. Son père était un homme d’affaire important et sa mère, une employée dans une grande banque. Famille riche donc, qui avait vécu dans un quartier chic de Londres. Elle et son frère aîné avaient effectués leurs études dans des établissements privés de bonne réputation, et son frère avait continué à l’université en étudiant l’économie. Garance, elle, avait arrêtée près le lycée et avait quitté le foyer familial, faisant des petits boulots pour vivre avant que son père, inquiet pour sa fille, n’ai fait jouer ses relations pour qu’elle arrive au Yard. Mais le plus intéressant (et tragique) restait le drame arrivé 9 ans plus tôt. Gareth, son frère aîné, avait été retrouvé mort, victime d’une overdose, dans les quartiers peu fréquentables de Londres. La pauvre…Plus je lisais, plus je me sentais mal pour elle. Ça avait dû être horrible pour elle. J’étais peut-être fils unique mais je pouvais imaginer la souffrance qu’elle avait dû ressentir. Je restai devant mon ordinateur, pensif, lorsque soudainement, je me retrouvai dos à mon ordinateur et face à elle. Je blanchis : mon écran ! Si elle le voyait, j’étais mort. Heureusement pour moi elle semblait plus concentrée…sur moi.

- Viens. On va aller boire un verre, me dit-elle

- Un…un verre ? Je…Garance tu sais c’est pas mon truc d’aller « boire un verre » et…Et puis j’ai pleins de trucs à faire sur l’ordi ce soir…

J’espérais désespérément qu’elle ne regarderait pas l’écran et ne voit ainsi pas son nom dessus.

- Excuses rejetées. Si tu n'essaies pas, tu ne sauras jamais que ce n'est pas ton truc. Et faux, tu n'as plus rien à faire ce soir. En arrivant, j'ai entendu tes collègues dire que ça faisait bien une demi-heure que tu te tournais les pouces et qu'ils se demandaient ce que tu foutais encore ici.

Je maudis lesdits collègues qui ne me fournissaient plus aucune excuse pour refuser. De toute façon, Garance était déterminée. En fait je pensai que lorsqu’elle avait une idée en tête, rien ne devait pouvoir l’arrêter. Comme moi. Sauf que je me préoccupais quand même de l’avis du principal intéressé dans ce cas (bon sauf dans cette affaire de hackage mais ça n’avait rien à voir non ?). Enfin bon, elle n’allait jamais lâcher l’affaire de toute façon alors à quoi bon résister ? Autant accepter et en finir. Et puis sait-on jamais ? Peut-être que ça n’allait pas être si terrible. Garance était quand même une fille super gentille.
Elle se pencha vers moi et posa ses mains sur mes épaules avec un grand sourire.

- Aller, viens ! J'veux juste qu'on passe une soirée sympa. Faut que t'apprennes à prendre du temps pour te faire plaisir, mon grand.

Je lui adressais un sourire amusé et capitulait :

- Très bien, d’accord, je viens, t’as gagné.

Je me retournai et m’empressai d’éteindre l’ordi avant qu’elle ne remarque que sa vie entière était ouvert dessus et me levai en reprenant mon manteau.

- Bon, on va où alors mademoiselle « je te propose mais en fait t’es obligé d’accepter » ? lui demandais-je en lui faisant un clin d’œil.

- Techniquement, j't'ai rien proposé du tout, me répondit-elle avec un grand sourire. J't'ai imposé de venir boire un verre dès que j'suis arrivée.

J'explosai de rire. Oui, effectivement c'était plutôt ça. Garance était vraiment un phénomène. J'étais à la fois horrifié et fasciné par sa manière d'être. Elle ne faisait absolument aucun fi des autres, ne respectait pas les conventions sociales les plus basiques et prenait tout ça avec le sourire et l'air le plus naturel du monde. Pour moi, élevé dans le respect de tout ça, c'était assez déconcertant. Et en même temps, parce que c'était Garance, ça ne me dérangeait pas tellement au fond.

- J'connais un bar sympa vers Trafalgar Square. T'as rien à craindre.

- Tu ne me fais pas peur Garance tu sais.

Ce qui, en soi, n'était pas un mensonge. J'avais plus peur pour les autres que pour moi. Parce que même si j'aimais bien Garance et que nous nous entendions bien, je savais par mes autres collègues qu'elle n'étais pas très tendre avec la plupart des gens bossant au Yard...pour ne pas dire avec tout le monde. Alors si elle sortait de ses gonds, je n'aurais pas aimé être la personne en face!

Une fois arrivé au bar, elle nous trouva une table un peu à l'écart et un serveur s'approcha de nous. Garance commanda une bière et m'interrogea du regard.

- Je vais prendre un banana daiquiri s'il vous plaît.

Je ne buvais pas souvent d'alcool, le réservant aux grandes occasions, mais bizarrement un banana daiquiri me tentait bien là.

- Alors, dis-je en reportant mon attention sur Garance, quoi de beau?